Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/196

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touche la politique extérieure, ils n’avaient pas trahi, ils n’avaient pas conseillé la trahison ; mais ils avaient accepté d’être les conseillers de la Cour qui, elle, trahissait.

Plusieurs d’entre eux, écartés de l’action publique par la loi qui décidait la non-rééligibilité des Constituants, s’étaient réfugiés dans l’action occulte, et leurs relations avec la Cour ne furent point assez secrètes pour échapper au regard de la Révolution défiante ; elles furent assez mystérieuses pour prêter à tous les soupçons et pour susciter la légende (à moitié vraie) du comité autrichien.

Dans la question de la guerre, ils avaient été aussi rusés, aussi équivoques que la Gironde, mais avec beaucoup moins d’esprit de suite et de clairvoyance.

La Gironde pouvait équivoquer et tromper. Elle pouvait amorcer la grande guerre de propagande en paraissant ne proposer d’abord qu’une sorte d’expédition de police contre les émigrés. Elle savait bien qu’une fois en mouvement, la guerre, par sa terrible logique, se développerait.

Au contraire, les Feuillants se livrèrent, ou du moins plusieurs d’entre eux, à l’espoir insensé qu’ils pourraient sans péril ouvrir la guerre, qu’ils la gouverneraient et limiteraient à leur gré, et qu’ils la feraient tourner à l’affermissement de l’autorité royale. Ils mettaient en train eux-mêmes la machine formidable qui devait les broyer.

Même aveuglement, même débilité dans la politique intérieure. Ils ne comprirent pas que la vigueur des mesures destinées à réprimer la contre-révolution pouvait seule les sauver. Car la Révolution, forte au dedans, serait beaucoup moins tentée de chercher une diversion au dehors ; et c’est dans la paix seulement que pouvaient se concilier l’autorité royale transformée et la Révolution.

Ils paralysèrent les décrets contre les prêtres factieux, et la démarche du Directoire de Paris, inspirée par eux, permit à Louis XVI d’opposer son veto aux lois contre les prêtres rebelles.

Leur conduite dans les affaires du Midi, d’Arles, d’Avignon, de Marseille, fut lente et molle ; et pour n’avoir pas soutenu à temps les patriotes menacés par les nobles et les papistes, ils laissèrent s’installer dans le Midi une anarchie sanglante. Les soldats du régiment de Château-Vieux, condamnés à la suite des événements de Nancy, excitaient la vive sympathie des révolutionnaires. La fuite de Varennes avait révélé les manœuvres de Bouillé contre la Révolution, et ainsi ils apparaissaient comme des martyrs. L’idée de les arracher au bagne et de les recevoir avec éclat à Paris devait venir naturellement aux amis de la liberté. Les Feuillants s’opposèrent avec une violence incompréhensible à cette délivrance et à cette fête, et le grand poète André Chénier, qui était la lyre des Feuillants, épuisa sa verve outrageante, ses ïambes splendides et amers à railler ou insulter les soldats délivrés et leurs amis.