Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/205

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ministres, que publia, à la date du 24 au 31 mars, le journal les Révolutions de Paris :

« Nous avons dit souvent que le défaut essentiel de la Constitution française était de n’être point assise sur des bases immuables et de ne reposer que sur la probité supposée du pouvoir exécutif et de ses agents. Nous en faisons la triste épreuve depuis le 14 juillet 1789 ; nous la faisons surtout depuis l’acceptation de l’acte constitutionnel par Louis XVI. Les sieurs Duport, Delessart, Bertrand, Duportail, Montmorin, etc., ont fait le malheur du peuple, parce qu’ils n’ont pas voulu être honnêtes gens. Que conclure de là ? Deux choses qui vont paraître bien étranges : 1o Que la Constitution, en ce qui regarde le gouvernement, n’a presque aucun avantage sur le despotisme ; 2o Que les ministres actuels peuvent néanmoins, s’ils le veulent, faire instantanément le bonheur de leur pays.

« Expliquons ces prétendus paradoxes. Le peuple élit ses magistrats, ses juges, ses représentants ; les représentants du peuple ont intérêt de soutenir et défendre la cause du peuple, qui est la leur, et ils la soutiendraient, par la raison de leur intérêt personnel, s’ils ne trouvaient pas un intérêt plus grand à la trahir ; or, quel est l’intérêt étranger qui fait dévier une partie des représentants du peuple ? C’est la liste civile, ce sont les emplois à la nomination du pouvoir exécutif : donc le Corps législatif serait nécessairement pur, si le pouvoir exécutif n’avait qu’un salaire raisonnable et aucun emploi public à sa disposition.

« S’il est une fois démontré qu’il n’y a que l’influence du pouvoir exécutif qui puisse engager le Corps législatif dans des démarches contraires au bien du peuple, il l’est également que la Constitution ne repose que sur la probité supposée du chef du pouvoir exécutif ; car si le Corps législatif est incorrompu, ses décrets seront salutaires et justes, le peuple sera bien gouverné, toutes les fois que ces mêmes décrets seront ponctuellement exécutés, et ils seront ponctuellement exécutés si le pouvoir exécutif n’a aucun intérêt à ne les point exécuter ; mais si le pouvoir exécutif a un intérêt à ne pas faire exécuter les lois, il ne les exécutera pas, et l’on aura beau faire, on aura beau décréter, le jeu de la machine n’en sera ni meilleur, ni plus actif.

« On peut en conclure, avec certitude, que le roi étant inviolable, et nul n’ayant le droit de lui demander compte de son inertie ou de ses actions, la révolution est à peu près nulle, s’il s’obstine à rester en place et à contrarier sans cesse la marche de la révolution.

« Il résulte de cet exposé que dans la vérité exacte, un peuple qui a un gouvernement où le roi est inviolable, et où nul moyen ne peut le forcer à agir, n’est pas plus libre que ceux chez qui la volonté du roi est la suprême loi ; car il n’y a pas de différence entre obéir à la volonté d’un tiers et commander à celui qui a le droit de désobéir. Si les représentants de la France