Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/249

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conclus par les colons, avaient pu ou apaiser ou prévenir les soulèvements d’esclaves.

Ainsi, de grands essaims de navires continuaient à s’envoler de nos quais vers les îles lointaines, y portant les vins et les draps, les produits de France, et rapportant le sucre et le café.

Le journal de Brissot dit formellement, à la date du mercredi, 25 janvier : « En supposant deux cents sucreries brûlées, ce qui est au-dessus de la vérité, ce ne serait pas un sixième dans le produit ordinaire de Saint-Domingue, et observez que si les cases ont été brûlées, les cannes à sucre ne l’ont pas été. »

Si l’on se défie de l’affirmation de Brissot, qui pouvait chercher à atténuer un désastre dont les modérés et les colons blancs l’accusaient frénétiquement d’être le principal auteur, il me semble bien du moins que le langage des orateurs de tous les partis ne peut laisser aucun doute. Dans la grande discussion de mars, les Girondins et les modérés paraissent d’accord pour reconnaître que les ravages ont été arrêtés. Guadet dit : « Qui est-ce qui a arrêté la révolte des esclaves à Saint-Domingue ? La réunion des hommes de couleur libres et des colons blancs. Qui est-ce qui l’a prévenue à la Martinique ? La réunion des hommes de couleur libres et des colons. C’est à cette mesure, à cette mesure unique que toutes les nouvelles officielles de la Martinique et de Saint-Domingue attribuent la conservation de ces îles. »

Ces paroles ne soulèvent aucune protestation. L’Assemblée savait donc que le désastre avait été enrayé.

L’orateur modéré, Mathieu Dumas, trace un tableau très sombre de l’état de Saint-Domingue, mais où il apparaît bien que les relations de commerce de la France avec les grandes îles, si elles sont quelque peu troublées et comme saccadées, ne sont pas précisément amoindries. Il me semble qu’il pressent des périls futurs plutôt qu’il ne constate des dommages immédiats.

« Nous parviendrons, je l’espère, à apaiser les troubles de la colonie, mais ils ont eu déjà une influence fatale sur le commerce et sur la navigation nationale. Les étrangers se pressent d’envahir une partie de celui qui était exclusivement réservé à nos ports. Les administrateurs et les tribunaux sont sans force pour s’opposer à ces entreprises ; elles seront de plus en plus colorées du prétexte de porter du secours à ces contrées désolées. Ces liaisons ne seront même plus revêtues des déguisements auxquels l’interlope avait recours ; et tandis que nous sauverons les débris de cette colonie, nous la perdrons de fait, en perdant son commerce. Un sentiment généreux et fraternel anime tous les ports et y multipliera les armements, mais une juste épouvante frappe nos négociants et nos navigateurs. Ils portent à la colonie des secours que nous devons exciter et encourager par toutes sortes de moyens ; mais ils sont menacés de n’obtenir que de faibles retours et à des