Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/273

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tion des rôles ; et malgré l’effort des sociétés patriotiques, de sourdes résistances contre-révolutionnaires paralysaient en plus d’un point le service fiscal. Quand la Législative débuta, elle dut constater que les années 1790 et 1791 laissait un arriéré de 700 millions ; la moitié de l’impôt seulement était rentrée. Et naturellement, il fallait faire face à ce déficit par les assignats. Créés pour parer à des besoins extraordinaires, au paiement des dettes effroyables de l’ancien régime, au remboursement des offices, ils semblaient destinés en outre à porter le poids des dépenses ordinaires de la Révolution. Ce fardeau aurait écrasé le crédit de l’assignat ; mais les révolutionnaires espéraient (et sans la guerre leur espoir eût été réalisé) que l’ordre fiscal nouveau ne tarderait pas à s’établir et que les rentrées pleines suffiraient aux dépenses. Il y avait néanmoins à cet égard quelque inquiétude et quelque malaise.

En second lieu le rapport de l’assignat à son gage territorial restait assez mal défini. Ce qui faisait la valeur et la solidité de l’assignat, c’est qu’il était hypothéqué sur les biens nationaux ; les assignats étant admis au payement des biens d’Église mis en vente, il est clair que les assignats devaient garder leur crédit tant que la valeur des biens à vendre serait manifestement supérieure au chiffre des assignats émis. Or l’écart était, encore très grand. Tandis que le rapporteur de l’ancien Comité des finances de la Constituante, M. de Montesquieu, dans un mémoire communiqué à la Législative, évaluait à 3 milliards 200 millions l’ensemble des biens vendus ou à vendre, et que Cambon semblait adopter à peu près ce chiffre, c’est seulement à 1,300 millions que s’élevaient les émissions d’assignats votées par la Constituante. Non seulement le gage territorial de l’assignat était donc à cette date plus que suffisant et surabondant, mais le gage se réalisait vite. Les ventes connues à la fin de 1791 s’élevaient à 903 millions ; et comme 114 districts n’avaient pas encore envoyé leurs relevés, c’est à 1,500 millions qu’il convenait d’évaluer dès cette date l’ensemble des ventes faites. Par conséquent il était certain que d’échéance en échéance les assignats, servant au paiement des domaines acquis, allaient rentrer à la Caisse de l’extraordinaire. Ils y étaient brûlés à mesure qu’ils revenaient, et ainsi le poids de l’émission était énormément allégé.

Mais le fonctionnement de ce mécanisme avait quelque chose d’incertain. Le paiement des biens acquis se faisait par annuités : parmi les acheteurs, les uns se libéraient avant terme ; les autres profitaient jusqu’au bout des délais accordés par la loi ; en sorte que la rentrée et le brûlement des assignats suivaient une marche irrégulière et tandis que les émissions nouvelles jetaient les assignats par coups de cent millions ou même de plusieurs centaines de millions sur le marché, c’est d’un mouvement traînant et intermittent que les assignats revenaient. Or, plus était grand l’intervalle de temps qui séparait le moment où l’assignat était émis du moment où il