Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/291

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chandises, elle haussait ainsi exceptionnellement ; à ce mouvement de hausse beaucoup de denrées ne participaient pas, toutes celles que des raisons particulières aussi ne désignaient pas, comme le sucre ou le coton, aux opérations d’agio.

Cailhasson, dans son rapport du 17 décembre, dit expressément : « Tout le monde sait que quand deux monnaies n’ont pas une même valeur, la plus faible chasse l’autre nécessairement. Alors celle-ci, est à l’égard de la première, comme toutes les autres marchandises, sujette à des variations de prix. Et lorsqu’une foule de circonstances tendent à la pousser hors des limites de l’Empire, elle doit subir une hausse considérable. Si la valeur d’assignats dépendait de son échange et du prix de l’argent, nous aurions vu, dans les variations subites que l’agiotage produisait ces jours derniers, tous les objets échangeables contre des assignats participer au même mouvement. Cependant le pain et les denrées de première nécessité n’ont pas varié de prix. »

Trois mois plus tard, et bien que la hausse inquiétante des prix se fût produite sur un grand nombre de marchandises, sur le cuir, sur le coton, sur le sucre, Condorcet constatait également, dans un admirable mémoire à l’Assemblée, le 12 mars, que la perte de l’assignat par rapport aux denrées, très difficile à calculer, était certainement moindre que la perte de l’assignat sur l’argent.

« Aussi, dit-il, l’on se tromperait si l’on jugeait de la perte réelle des assignats par le rapport de leur valeur à celle de l’argent monnayé, et c’est uniquement d’après les prix de certaines denrées que, par un calcul assez compliqué, et même auquel il serait difficile de donner des bases certaines, on pourrait déterminer cette dépréciation avec quelque exactitude. Mais il est important de remarquer qu’elle est bien au-dessous de ce qu’indique le prix de l’argent, et de détruire cette erreur que nos ennemis se plaisent à répéter. »

En fait, la hausse du prix des denrées fut peu sensible, et ce qui frappa surtout les contemporains, ce n’est pas qu’il y eût hausse, c’est que malgré l’abolition des droits d’octroi et des droits d’aides, il n’y ait pas eu baisse. C’est là ce que note Hébert dans ces articles du Père Duchesne qui traduisaient avec une grande puissance les sentiments et les colères du peuple :

« Quoi donc, foutre ! s’écrie-t-il dans son numéro 83, qui correspond à cette période, n’aurions-nous rien gagné à la suppression des barrières ? On nous aura chargés de nouvelles impositions et nous paierons toujours les mêmes droits sur les subsistances ? »

Ainsi, il n’y a pas à cette date une crise de souffrance, mais au contraire un élan général d’activité et de prospérité, un vaste mouvement d’affaires :

« Les protestants, écrit le 12 décembre 1791 l’abbé Salamon, viennent encore d’ouvrir une nouvelle banque. »