Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’ouvrier qui ayant un billet de 5 livres était obligé « de faire de la monnaie », ne recevait en tout petits billets de confiance que 4 livres et demie. « Les petits assignats, dit Caminet le 16 décembre, n’ont jusqu’ici servi qu’aux riches, ils sont devenus entre leurs mains un moyen de diminuer le salaire du pauvre et de faire perdre aux ouvriers un dixième de leur semaine pour l’échange. »

Hébert conseille au peuple de bâtonner les agioteurs, « les Juifs », qui spéculaient ainsi sur l’assignat de 5 livres. En outre, ces billets n’avaient pour gage que les assignats eux-mêmes ; mais les maisons qui recevaient en dépôt ces assignats n’étaient pas sérieusement contrôlées : elles pouvaient très bien ne pas garder ces assignats immobilisés, mais s’en servir, au contraire, pour des opérations de tout ordre. De là, deux dangers : ces opérations pouvaient ne pas réussir, et du coup le gage des billets de confiance était compromis. Et, en tout cas, il y avait une multiplication fictive de monnaies qui pouvait achever le discrédit du papier et exagérer la hausse du prix des denrées.

L’assignat représentait les biens nationaux ; le billet de confiance représentait l’assignat. Si le billet de confiance et l’assignat circulaient en même temps, il semble qu’il n’y avait plus de limite à l’émission du papier. Crestin, le 28 mars, signale avec force tous ces périls à la Législative. « Les assignats ne se trouvaient qu’en grosses valeurs. Les banquiers de Paris firent une spéculation sur le malheur de cette situation. On fit entendre au peuple que l’émission des petites valeurs tolérées, à échanger contre les valeurs nationales hypothéquées, remplacerait sans inconvénient la monnaie : le peuple saisit ce moyen astucieux comme un moyen unique de salut. L’Assemblée constituante, cédant à ce désir sans grand examen, ne vit pas le piège ou feignit de ne pas l’apercevoir.

« On vit tout à la fois la Caisse d’escompte, une Caisse patriotique, une Caisse de secours livrer à la circulation des valeurs de toutes mesures, de toutes proportions. L’on vit ces établissements se subdiviser par des établissements de sections, par des émissions de particuliers : cela est même allé jusqu’à voir battre monnaie, en guise d’effets au porteur.

« On vit enfin ces sortes d’émissions épidémiques sous les apparences du bienfait s’étendre dans tout l’Empire, en sorte qu’à ce moment il existe pour plus de 40 millions de billets au porteur, ayant une sorte de caractère public, sans que la nation ait la moindre assurance de la responsabilité des tireurs.

Ainsi, dans un espace de dix mois, tous les moyens de représentation et d’échange, tant du numéraire métallique que du papier-monnaie national, se sont trouvés convertis :

« 1o Dans les billets de la Caisse d’escompte, de la Caisse dite patriotique, de celle dite de secours ;