Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/307

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et que l’on apprenait quelque mouvement dans les provinces, les jean-foutres avaient un air triste, une figure blême, un nez allongé, et aujourd’hui que les biens domaniaux se vendent avec succès, mille bombes ! ils sont d’une joie qui ne peut se rendre ; leurs actions sont augmentées de moitié et leur dureté n’en est pas diminuée d’un pouce ; ce n’est point assez d’avoir accaparé nos écus, soit pour eux, soit pour les aristocrates, ils veulent encore s’emparer des petits assignats ; ils ont su faire prendre les armes au peuple pour entourer la salle de l’Assemblée le jour que le décret sur les assignats a été rendu ; mais, foutre ! ce peuple n’en héritera pas plus que des écus, et quand toutes les affaires seront bien arrangées pour eux, et que le pauvre peuple sera toujours malheureux, qu’il se plaindra, on lui dira pour toute réponse : Tu l’as voulu, George Dandin.

« Tous les jours, vous entendez dans les districts de foutus marchands s’écrier : Que l’argent est rare ! que va-t-on devenir ? Ah ! il n’est point possible d’y tenir ! et les mâtins ne disaient point que c’étaient eux qui étaient les premiers marchands d’argent. Ils criaient à tout instant comme des bœufs : Ce sont les aristocrates, ce sont les aristocrates qui achètent l’argent pour l’emporter à l’étranger. Hé ! bougres, n’en vendez pas, et l’on n’en achètera pas. C’est vous qui êtes les premiers aristocrates, et d’autant plus à craindre que sous le voile du patriotisme, vous nuisez à la vie de vos frères. Si l’on punit des traîtres, vous devriez l’être les premiers, ou si vous continuez à faire votre foutu commerce, vous n’êtes point des hommes, vous êtes des tigres. Est-ce possible qu’il se trouve dans le nouveau régime des agioteurs, des monopoleurs comme dans l’ancien ?… Ces bougres d’agioteurs ont un diable dans la tête qui ne dort jamais. Il n’y a que quelques volées de coups de bâton qui puissent les arrêter. Ne vous avisez pas d’aller faire des émeutes à leurs portes, ni de vouloir forcer leurs maisons, car les bougres ne demanderaient pas mieux. On ne leur aurait rien pris, et ils diraient qu’on leur a volé des millions. »

Puis il s’en prend au clergé, mais en ayant bien soin, selon le sentiment populaire de cette époque, de distinguer le prêtre de la religion. Il parle avec ironie de « la reconnaissance due aux juifs qui, à force d’usurer avec nos ci-devant prélats ont introduit dans le sanctuaire tous les vices qui nous ont fait ouvrir les yeux… En voyant comme les bougres de prêtres avaient amalgamé la religion avec leurs passions, je crois que le bon Dieu ne s’y reconnaissait pas lui-même. Mais, foutre, à présent il verra nos cœurs à nu et verra que nous sommes tous frères, que nous aimons notre bon roi et encore plus la nation…  »

Et effrayé des mouvements fanatiques qui se dessinent il ajoute :

« Il faut que nous engagions nos femmes à ne plus se mêler des affaires de prêtres, car si leurs bougres de langues s’avisent de remuer sur des questions qu’elles ne connaissent pas, nous n’en aurons jamais fini. » (no 16).