Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/318

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précieuse denrée, il l’attribue à cette manœuvre apparente, il se soulève, et ses mouvements augmentent l’enchère parce qu’ils arrêtent la circulation : de sorte que la disette arrive au milieu de l’abondance et que le soupçon et la défiance sont successivement effet et cause de la cherté. Voilà ce que savent très bien les hommes qui cherchent à fomenter des troubles : ils disent au peuple que jamais sous l’ancien régime ils n’ont eu de semblables opérations, et on les croit, on doit les croire, parce qu’en effet, sous l’ancien régime, la verge du despotisme dirigeait tout et ménageait davantage les justes sollicitudes du peuple.

« Dans ce moment encore une quantité considérable de blé acheté à Hambourg est arrivée au Havre ; elle passera de ce port à celui de Rouen, ensuite au Pecq et du Pecq à Paris. Dans le même temps et en sens inverse, des blés achetés dans le Soissonnais descendent la Seine, éprouvent les mêmes versements dans les mêmes ports, et sont embarqués au Havre par Bordeaux. Comment pourra-t-on persuader aux habitants des deux rives de la Seine, qu’il est utile au peuple qu’il se fasse ainsi des transports et des versements de la denrée qui le fait vivre, suivant des directions diamétralement opposées ? Sous le régime arbitraire, on aurait fait rester à Paris les blés du Soissonnais, et on aurait expédié pour Bordeaux ceux de Hambourg. La différence seule aurait suivi son cours nécessaire, et comme cette différence est en plus pour l’importation, le peuple l’aurait regardée comme un bien-fait. »

Ainsi Forfait constatait que « la liberté commerciale illimitée » a des complications inutiles, onéreuses et impuissantes et il se risque à dire qu’il vaudrait mieux organiser en une sorte de service public le commerce des grains. Ou tout au moins il faudrait le soumettre à un contrôle d’État.

« Je ne connais. Messieurs, qu’un remède à ces maux. Ce moyen est d’établir à Paris une administration centrale des subsistances. (Murmures.) Elle aurait, sous l’inspection et la responsabilité du ministre de l’intérieur, la charge de connaître le produit des récoltes dans les départements, la quantité des achats faits dans l’étranger, et le droit d’indiquer la marche que les subsistances doivent suivre dans tout le royaume pour ne pas se croiser. »

L’Assemblée avait murmuré, et elle écarta la motion de Forfait par la question préalable. La motion était au moins prématurée : l’état de la France, où en somme la circulation du blé était suffisamment assurée, n’exigeait pas encore en ce moment ces mesures énergiques, mais c’était déjà le germe de la politique révolutionnaire du Comité des subsistances de la Convention.

À Dunkerque, où des agitations avaient été signalées dès l’automne, il y eut un mouvement très violent en mars. Les administrateurs effrayés écrivirent à l’Assemblée qu’ils ne pouvaient plus répondre de l’ordre et des propriétés, que la garde nationale était complaisante pour le peuple soulevé, que l’intervention de la troupe de ligne avait seule préservé de l’incendie la ville