Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/336

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somme, partie intégrante du domaine national. Enfin toutes les opérations par lesquelles les émigrés, avertis des suites inévitables du décret du 9 février, auraient transférée d’autres, réellement ou activement, la propriété de leurs biens, étaient annulées et le séquestre rétroagissait jusqu’au 9 février. De même que, en nationalisant les biens d’Église et en interdisant les vœux, la Révolution avait garanti la dette des créanciers du clergé, accordé aux moines et nonnes un abri et une pension, de même, en ce qui touche les émigrés, la Révolution règle la procédure qu’auront à suivre les créanciers des émigrés pour recouvrer leur créance sur les biens séquestrés.

Elle décide, en outre, par l’article 17 du décret, que dans tous les cas on laissera aux femmes, enfants, pères et mères des émigrés, la jouissance provisoire du logement où ils ont leur domicile habituel, et des meubles et effets mobiliers à leur usage qui s’y trouveront ; il sera néanmoins procédé à l’inventaire desdits meubles, lesquels, ainsi que la maison, demeureront affectés à l’indemnité.

Enfin elle statue, par l’article 18 : « Si lesdits femmes ou enfants, pères ou mères des émigrés sont dans le besoin, ils pourront en outre demander, sur les biens personnels de ces émigrés, la distraction à leur profit d’une somme annuelle qui sera fixée par le directeur du district du lieu du dernier domicile de l’émigré, et dont le maximum ne pourra excéder le quart du revenu net, toutes charges et contributions acquittées, de l’émigré s’il n’y a qu’un réclamant, soit femme, enfant, père ou mère ; le tiers, s’ils sont plusieurs jusqu’au nombre de quatre ; la moitié s’ils sont en plus grand nombre. »

Des voix passionnées avaient demandé que, de même que les créanciers ordinaires quand ils saisissaient le bien qui servait de gage à leur créance, s’inquiétaient seulement du chiffre de leur créance et non des besoins de la famille du débiteur, la Révolution, créancière souveraine, ne déduisit pas les frais de vie de la femme, de la mère et des enfants de l’émigré, du gage sur lequel la nation trahie mettait la main. Mais une pensée d’humanité plus large avait prévalu, qui ne pourra se maintenir longtemps dans la violence croissante de la tempête.

Si la grande Révolution socialiste et prolétarienne a l’admirable fortune de s’accomplir par une action régulière et paisible, elle méditera utilement l’esprit de ces premières décisions, énergiques et clémentes, de la Révolution bourgeoise.

Mais dès lors cette sorte de réserve au profit de la famille des émigrés ne devait pas apparaître comme un obstacle à la nationalisation définitive ou même à la mise en vente des biens des nobles. Car de même que la Révolution avait levé l’hypothèque spéciale des débiteurs sur les biens du clergé pour leur donner hypothèque générale sur l’ensemble des biens nationaux, de même elle pouvait assurer aux familles des émigrés l’espèce de pension ali-