Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/365

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l’individu laborieux qui parvint bientôt à joindre à sa part de partage celle de son voisin inactif et imprévoyant. Bientôt encore, de nouvelles combinaisons venant à s’établir, le faible se mit sous la protection de l’homme puissant, ou plutôt tendit la main aux fers qui lui furent présentés par le fort. Enfin mille causes secondaires, qu’il est inutile d’énumérer, se joignirent aux premières pour en augmenter l’effet ; et le genre humain, par succession de temps offrit tous les degrés de la misère et de l’opulence. »

Je ne discute pas, bien entendu, ce système si arbitraire et si vague de l’évolution humaine, j’en retiens seulement que pour le législateur, l’inégalité des conditions est le résultat fatal, inévitable du développement humain.

« C’est donc, dit le rapporteur, une conséquence immédiate du principe de la civilisation que l’inégalité des fortunes et des moyens de subsistance ; quand, pour ramener tout à l’égalité, il se pourrait qu’on en vînt à rapporter à une masse commune l’universalité des propriétés pour en attribuer une portion semblable à chacun des membres de la réassociation, il est évident qu’un tel état de choses ne pourrait subsister, et que les mêmes causes tendant sans cesse à reproduire les mêmes effets, on se retrouverait bientôt au point d’où l’on serait parti.

« Mais s’il demeure démontré que cette inégalité tient au principe même de la civilisation, si l’existence de la richesse et de la pauvreté extrêmes et de tous les intermédiaires possibles entre ces deux états en est la suite déplorable et nécessaire, il n’est pas moins rigoureusement prouvé qu’en exécution et en vertu de la convention primitive par laquelle chaque membre de la grande famille est lié à l’État, et l’État à chacun de ses membres, le premier doit à tous sûreté et protection, et que la propriété du riche et l’existence du pauvre, qui est sa propriété, doivent être également placées sous la sauvegarde de la foi publique.

« De là, Messieurs, cet axiome qui manque à la Déclaration des Droits de l’homme, cet axiome digne d’être placé en tête du Code de l’humanité que vous allez décréter : tout homme a droit à sa subsistance par le travail s’il est valide, par les secours gratuits s’il est hors d’état de travailler. »

Ici encore, je ne puis m’arrêter à discuter la conception sociale assez médiocre et incertaine du Comité de secours. Que vaut la fiction d’un contrat conclu entre l’État et les particuliers ? Je ne le rechercherai point.

Il est bien évident qu’entre tous les hommes vivant en société il y a un contrat tacite qui peut se formuler ainsi :

« Nous ne consentons à vivre avec les autres hommes et à supporter les lois sociales qu’à la condition que la vie ne nous soit pas rendue intolérable, et que nous n’ayons pas plus d’intérêt à briser le lien social, au prix de tous les périls, qu’à le respecter. »

Au fond, ce contrat prétendu, ou si l’on veut, ce contrat implicite, n’est que