Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/381

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resser en quelque sorte la conscience des élèves à la recherche de tout ce qui est vrai (la vérité est en effet la morale de l’esprit, comme la justice est la morale du cœur). Il importe non moins d’intéresser leur curiosité, leur ardente émulation, en les faisant comme assister à la création des diverses connaissances dont on veut les enrichir, et en les aidant à partager sur chacune d’elles la gloire même des inventeurs, car ce qui est du domaine de la raison universelle ne doit pas être uniquement offert à la mémoire ; c’est à la raison de chaque individu de s’en emparer ; il est mille fois prouvé qu’on ne sait réellement, qu’on ne voit clairement que ce qu’on découvre. »

Talleyrand ne craint pas d’appliquer cette méthode de simplification, qui doit mettre en mouvement tous les esprits, à ce qu’il y a de plus spontané, de plus confus, de plus vaste : la langue et l’histoire. Il rêve de faire de la langue française un instrument de précision si exact que tous les esprits, par la seule attention au contenu des mots, soient préservés de l’erreur. Définition rigoureuse des mots nécessaires, élimination des mots inutiles ou incertains ; par là la langue atteindra à une sobriété lumineuse et à une efficacité universelle, et l’excellence de l’outil commun créera entre tous les ouvriers de la pensée une sorte d’égalité préalable.

« La Révolution a valu à notre idiome une multitude de créations qui subsisteront à jamais, puisqu’elles expriment ou réveillent des idées d’un intérêt qui ne peut périr, et la langue politique existera enfin parmi nous ; mais plus les idées sont grandes et fortes, plus il importe que l’on attache un sens précis et uniforme aux signes destinés à les transmettre ; car de funestes erreurs peuvent naître d’une simple équivoque. Il est donc digne de bons citoyens autant que de bons esprits, de ceux qui s’intéressent à la fois au règne de la paix et au règne de la raison, de concourir par leurs efforts à écarter des mots de la langue française ces significations vagues et indéterminées, si commodes pour l’ignorance et la mauvaise foi, et qui semblent receler des armes toutes prêtes pour la malveillance et pour l’injustice. Ce problème très philosophique et qu’il faut généraliser le plus possible, demande du temps, une forte analyse et l’appui de l’opinion publique pour être complètement résolue. Il n’est pas indigne de l’Assemblée nationale d’en encourager la solution.

« Un tel problème, auquel la création et le danger accidentel de certains mots nous ont naturellement conduits, s’est lié dans notre esprit à une autre vue. Si la langue française a conquis de nouveaux signes et s’il importe que le sens en soit bien déterminé, il faut en même temps qu’elle se délivre de cette surcharge de mots qui l’appauvrissaient et souvent la dégradaient. La vraie richesse d’une langue consiste à pouvoir exprimer tout avec force, avec clarté, mais avec peu de signes. Il faut donc que les anciennes formes obséquieuses, ces précautions timides de la faiblesse, ces souplesses d’un langage détourné qui semblait craindre que la vérité ne se montrât tout entière, tout ce luxe imposteur et servile qui accusait notre misère, se perde dans un lan-