Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/401

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gnance, envoyer leurs enfants dans les établissements nationaux, et la puissance publique n’aura point usurpé sur les droits de la conscience, sous prétexte de l’éclairer et de la conduire.

« D’ailleurs, combien n’est-il pas important de fonder la morale sur les seuls principes de la raison ?

« Quelque changement que subissent les opinions d’un homme dans le cours de sa vie, ces principes établis sur cette base resteront toujours également vrais ; ils seront toujours invariables comme elle ; il les opposera aux tentatives que l’on pourrait faire pour égarer sa conscience, elle conservera son indépendance et sa rectitude, et on ne verra plus ce spectacle si affligeant d’hommes qui s’imaginent remplir leur devoir en violant les droits les plus sacrés, et obéir à Dieu en trahissant leur patrie.

« Ceux qui croient encore à la nécessité d’appuyer la morale sur une religion particulière doivent eux-mêmes approuver cette séparation ; car sans doute ce n’est pas la vérité des principes de la morale qu’ils font dépendre de leurs dogmes ; ils pensent seulement que les hommes y trouvent des motifs plus puissants d’être justes ; et ces motifs n’acquerront-ils pas une force plus grande sur tout esprit capable de réfléchir, s’ils ne sont employés qu’à fortifier ce que la raison et le sentiment intérieur ont déjà commandé ?

« Dira-t-on que l’idée de cette séparation s’élève trop au dessus des lumières actuelles du peuple ? Non, sans doute, car puisqu’il s’agit ici d’instruction publique tolérer une erreur ce serait s’en rendre complice ; ne pas consacrer hautement la vérité, ce serait la trahir. Et quand bien même il serait vrai que des ménagements politiques doivent encore souiller les lois d’un peuple libre, quand cette doctrine insidieuse ou faible trouverait une excuse dans cette stupidité qu’on se plaît à supposer dans le peuple, pour avoir un prétexte de le tromper ou de l’opprimer, du moins l’instruction qui doit amener le temps où ces ménagements seront inutiles, ne peut appartenir qu’à la vérité seule, et doit lui appartenir tout entière. »

Ainsi, pour Condorcet, non seulement l’Église doit être séparée de l’école, mais cette première séparation doit hâter la séparation complète de l’Église et de l’État, l’entière élimination de la religion réduite aux consciences individuelles et perdant tout caractère officiel. L’article 6 du projet sur les écoles primaires, résumant ces fortes pensées, dit nettement : « La religion sera enseignée dans les temples, par les ministres respectifs des différents cultes. »

Depuis le rapport de Talleyrand, en six mois, c’est un grand effort d’émancipation.

Mais Condorcet ne se borne pas à affranchir l’enseignement, même primaire, de toute influence religieuse, il ne se borne pas à avertir ainsi officiellement le peuple que c’est hors de la religion qu’il doit chercher tous les principes de la vie intellectuelle, morale et sociale. Il prévoit un enseigne-