Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/41

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tièmes de la génération et celles des générations futures… La destruction sans indemnité de tous les droits est la pierre qui manque au fondement de la Révolution… Quand la nation aura fait pour ses membres tout ce qui est commandé par la justice, alors ils s’empresseront de faire tout en qui sera commandé par l’intérêt de la patrie ; ils courront au devant de tous les sacrifices pour la liberté, qui déjà est un besoin moral pour les citoyens éclairés, et dont vous aurez fait un besoin physique pour tous les Français. »

Là, nettement, la propriété est subordonnée à la liberté ; et nous voyons poindre ce qui sera la conception sociale de la Convention : la théorie du salut public appliquée à la propriété comme à tout le reste. Mais cela effrayait. Et Louvet, le 12 juin, ne rassura guère l’Assemblée en formulant avec quelque ampleur la théorie.

« Si ces droits qu’on veut conserver et qui sont véritablement comme la pierre d’attente de toutes les prérogatives féodales qui en ont été détachées ne pouvaient pas être bientôt rachetés, qu’arriverait-il, Messieurs ? Ils continueraient de laisser à une classe accoutumée à la domination un ascendant certain sur leurs redevables et cet ascendant ne tarderait pas à porter la corruption dans notre régime électif, dans notre gouvernement représentatif et deviendrait l’écueil infaillible de la Révolution.

« Messieurs, de célèbres écrivains en politique ont dit que, qui avait les terres avait bientôt les hommes, que les citoyens ne pouvaient pas être libres quand leur propriété était asservie…

« Loin de moi sans doute l’idée que les fortunes puissent être ramenées un instant à l’égalité et s’y maintenir ; loin de moi l’idée d’un partage imaginaire dont on parle beaucoup, mais auquel personne ne croit sérieusement, et qu’il ne viendra du moins jamais à la tête d’un homme sensé de proposer ou de consentir ?

« Mais, je parle ici à des législateurs, je parle à des amis de la liberté et de la Révolution, et, à ce titre il peut, je crois, m’être permis de vous supplier Messieurs, de considérer que l’égalité politique et la Constitution n’ont pas d’ennemis plus à craindre que l’excessive inégalité des fortunes, que la première cause peut-être de celle qui s’est établie en France tient au régime féodal… »

Plusieurs députés manifestèrent vivement leurs craintes. Henry, de la Haute-Marne, s’écria le 14 juin : « Pour parvenir à la destruction sans indemnité de ces droits, on a affirmé à cette tribune que l’égalité politique excluait l’inégalité, l’excessivité même des fortunes. Cette idée déprédatrice qui paraîtrait une étincelle sortie de l’anarchique système du partage agraire ; cette idée alarmante pour tous les propriétaires, subversive de tout système social, sera étouffée dans sa naissance.

« Votre justice ne la considérera pour rien, parce qu’elle sait que l’inégalité des fortunes particulières vient de l’inégalité de l’économie individuelle