Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/412

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pendant la Révolution, pour constater le zèle extrême de la bourgeoisie parisienne. En quelques jours, les bataillons dont on a conservé les registres (il en manque quatorze, c’est-à-dire le quart) reçoivent 4.535 inscriptions. Des hommes de tous les états, de toutes les professions, de tous les âges, souvent des hommes mariés et chefs de famille, parfois le père avec le fils, des rentiers, des bourgeois, des marchands moyens et petits, de modestes industriels, des artisans, tous convaincus que la patrie n’aurait à leur demander qu’une campagne de quelques mois et qu’ils pourraient retrouver leur atelier, leur comptoir, leur établi, avant que leur clientèle fût dispersée ou que leurs affaires fussent à la dérive, mais prêts à donner leur vie pour sauver la France libre, couvrirent ces premiers registres d’héroïsme et de liberté de leurs noms obscurs sur lesquels l’histoire attentive et minutieuse projette aujourd’hui un mélancolique rayon de gloire qui ne restitue pas pour nous les traits de toutes ces existences dès longtemps effacées. C’est comme un défilé, comme « une revue » de toutes les conditions : ancien lieutenant de la marine marchande, étudiant en droit, chirurgien de la compagnie soldée, architecte, élève en chirurgie, cordonnier (patron cordonnier), aide de cuisine, cotonnier, gagne-denier, compagnon chapelier, cordier, ancien caporal au régiment de Vivarais, carrier, tambour des chasseurs, menuisier, encore gagne-denier, tailleur (16 ans), cordonnier, cordonnier, cordonnier, menuisier, taillandier, chapelier, cordier, taillandier, gagne-denier, perruquier, perruquier, fondeur en caractères, ci-devant employé aux fermes (16 ans), carrier, papetier, déchargeur de vins, serrurier, jardinier-fleuriste, carreleur, gazier, parfumeur, commis de négociant, manouvrier, scieur de pierres, cuisinier, postillon, maçon, tabletier tourneur, épinglier, chaudronnier, cloutier, boulanger, fabricant de bas, encore élève en chirurgie, tisserand, épicier. Je m’arrête ; visiblement ce sont surtout les artisans, les modestes patrons et industriels, les petits chefs d’atelier qui se jettent au péril : heures héroïques de la petite bourgeoisie et de l’artisanerie parisienne !

Mais que signifient ces pauvres « gagne-deniers » ou ces pauvres « compagnons » ainsi inscrits sur les listes ? Étaient-ils donc de la garde nationale et avaient-ils eu assez de ressources pour s’équiper ? Pas le moins du monde. Mais des notes des registres nous apprennent que les chefs de bataillon avaient été débordés.

De toutes parts, des prolétaires leur demandaient à être inscrits, à aller aux frontières ; ils n’avaient pas cru pouvoir les refuser tous, et il les avaient inscrits dans la mesure où les dons volontaires des bourgeois aisés permettaient de les équiper. C’est ainsi que le commandant du 1er bataillon, Leclerc, avertit que « tous ceux qui sont indiqués comme hors d’état de s’habiller demandent à contracter l’engagement comme auxiliaires : la plupart sort des travaux de charité ».

Souvent, les demandes, héroïquement irrégulières, des prolétaires