Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/43

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des propriétaires des mêmes droits, tout a été mis en usage pour vous inspirer des préventions défavorables contre le projet de décret du comité. »

De même que Siéyès, pour combattre l’abolition des dîmes, avait déclaré qu’elle profiterait surtout aux riches propriétaires, de même les modérés, qui voulaient maintenir les droits féodaux, prétendaient que leur abolition profiterait surtout aux grands domaines grevés de redevances assez lourdes. Gohier répondit à cet argument : « A les entendre, la portion du peuple dont le soulagement doit sans cesse vous occuper, serait la seule qui ne retirerait aucun avantage de la suppression dont il s’agit. Cette suppression ne profiterait qu’aux riches acquéreurs, qu’aux grands propriétaires et, cependant, par une contradiction manifeste, ce sont ensuite les titres de ces riches acquéreurs, de ces grands propriétaires, qu’on oppose à la suppression demandée. Pour combattre le projet du comité féodal, on suppose ainsi tout à la fois, et qu’on enrichit et qu’on dépouille les grands propriétaires, suivant qu’on a dessein ou de faire paraître le projet injuste ou de le rendre indifférent à ceux mêmes qu’il intéresse. Si les droits casuels n’étaient payés que par les propriétaires de terres érigées en fiefs, c’est alors qu’on pourrait dire avec une sorte de raison que la question dont il s’agit est étrangère à cette portion précieuse du peuple qui a pendant trop longtemps supporté, presque seule, le fardeau des contributions de toute espèce. Mais, dans la hiérarchie tyrannique du gouvernement féodal, tout était au contraire disposé de manière qu’un seigneur de fief ne payât pas un seul tribut à son supérieur qu’il ne s’en dédommageât amplement sur ses vassaux : ceux-ci se rejetaient sur les arrière-vassaux, si la terre qu’ils possédaient était elle-même fieffée, en sorte qu’aujourd’hui même, cette chaîne d’oppression ne pèse réellement que sur ceux qui n’en tiennent pas un seul anneau dans leurs mains. »

C’est à la fin de la séance du 14 juin que l’Assemblée passa au vote : la bataille fut très confuse. Un des modérés, Dumolard, proposa un amendement qui aurait sauvé, en partie, la propriété féodale : « Le ci-devant seigneur pourra suppléer à la représentation du titre primitif de concession de fonds par trois reconnaissances énonciatives du dit titre, appuyées d’une possession publique et sans troubles de quarante ans. »

La gauche demanda la question préalable sur cet amendement. Il y eut doute au scrutin et l’appel nominal fut demandé. À l’appel nominal, 273 voix contre 227, déclarèrent qu’il y avait lieu à délibérer sur l’amendement Dumolard. C’était la victoire des modérés. On pouvait présumer, en effet, que la même majorité qui avait écarté la question préalable allait voter au fond l’amendement. Mais les modérés perdirent la victoire par la plus singulière manœuvre. Soit qu’ils fussent lassés par une séance prolongée, soit plutôt qu’ils voulussent rester sur cette première victoire pour se donner le temps de la consolider, ils demandèrent que la séance fût levée. La gauche résista, et les modérés, pour obliger le président à lever la séance, sortirent de la