Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/432

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cachés dans nos murs, a cru devoir leur donner un renfort, en appelant, sous un prétexte spécieux, de tous les coins du royaume, 20.000 hommes prêts à devenir les suppôts du despotisme. Or, ce camp, n’en doutez point, est destiné à seconder les opérations des contre-révolutionnaires de la capitale, puis celles des armées nationales ou étrangères, appelées à rétablir le despotisme. Pour l’amener à ce point, on lui donnera des chefs royalistes qui le travailleront de toutes les manières. »

Quelle étrange déformation les partis font subir aux idées et aux faits ! Le grand souci de la Gironde à ce moment n’était pas de servir la contre-révolution : c’était de s’assurer la conduite de la Révolution : et je conviens que cette pensée égoïste peut devenir contre-révolutionnaire ; mais de là à prétendre que Servan faisait le jeu de la Cour il y a vraiment bien loin. Déjà Marat avait écrit le 9 juin : Si Servan n’est pas d’accord avec les Tuileries, pourquoi n’est-il pas congédié ? L’argument est enfantin ; car il suppose que le roi n’avait pas à tenir compte des forces de la Révolution ; et d’ailleurs Servan sera, en effet, congédié dans quelques jours. M. Aulard, quand il cherche la cause profonde, essentielle, de l’hostilité de la Gironde et de la Montagne, conclut qu’au fond c’est l’antagonisme de la province et de Paris. La réponse est trop simple. En fait, la guerre est allumée dès 1792, et à ce moment, Paris n’était pas représenté par des amis de Marat et de Robespierre. Le chef de la Gironde, Brissot, était élu de Paris. Et chose curieuse, à ce moment, c’est Marat qui semble dénoncer Paris.

Dans une note du numéro du 15 juin, il dit : « On aurait pu croire que les députés infidèles du peuple, tels que ceux de Paris et de la Gironde, qui ont vendu au prince les intérêts les plus chers de la patrie, avaient dessein de s’environner de vingt mille gardes nationaux des départements, contre les vengeances de la Cour, et les complots des contre-révolutionnaires ; mais, si cela était, ils auraient eu soin de faire statuer que le choix de ces gardes serait fait par la masse du peuple et ils n’en auraient pas abandonné le mode au comité militaire, tout composé d’officiers contre-révolutionnaires. J’ai dit quelque part que la faction de la Gironde et de Paris était toute-puissante. J’ai ajouté qu’elle menait l’Assemblée, et cela est vrai encore ; mais il ne faut pas croire qu’elle soit l’âme des décrets désastreux qu’elle fait passer ; non assurément, elle n’en est que la porteuse ; la preuve en est que la plupart de ses décrets sont calculés pour faire triompher les ennemis de la Révolution, rétablir pleinement le despotisme et les exposer eux-mêmes à ses fureurs. Cette faction scélérate, qui fut si lâchement prostituée à la Cour, est donc le jouet du cabinet des Tuileries qui l’a fait adroitement servir à ses complots, et qui finira par l’immoler à ses vengeances, quand le moment serait venu… » Marat recule un peu. Il n’accuse plus « la faction de la Gironde et de Paris » de travailler systématiquement pour la Cour.

Il l’accuse d’être la dupe et le jouet de cette Cour à laquelle elle s’est