Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/443

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prendront le parti qu’ils ont pris jusqu’à présent de gémir, de se désespérer, de crier et de laisser faire. »

C’est sans doute la peur d’être enlevé par le camp révolutionnaire qui décida Louis XVI à refuser la sanction au projet, même au risque d’une rupture violente avec la Gironde. Le renvoi des trois ministres girondins produisit une vive agitation. La lettre de Roland, lue à l’Assemblée, y fut couverte d’applaudissements ; elle fut envoyée aux départements.

L’assemblée vota que Roland, Servan, Clavière, emportaient les regrets de la nation. Pourtant aucune déclaration de guerre ouverte et brutale ne fut lancée à la royauté. Ce n’est pas des chefs politiques ou, comme on disait alors « des chefs d’opinion » que devait partir le mouvement. Les démocrates à la Robespierre n’étaient pas très fâchés de l’élimination de la Gironde. Et comment soulever le peuple à propos de l’exclusion des ministres girondins quand on a si souvent dit que leur avènement avait été un malheur pour la Révolution ? D’ailleurs, si un grand mouvement populaire se produisait pour protester contre le renvoi des ministres de la Gironde, c’est celle-ci qui devenait le centre même de la Révolution : grand ennui pour Robespierre. Aussi s’applique-t-il à éteindre les colères du peuple, à lui persuader qu’il serait indigne de lui de s’émouvoir « pour quelques individus ». Il écrit dans le Défenseur de la Constitution, à propos de la séance du 13 juin aux Jacobins :

« Le renvoi des ministres communiqua (à la société) un grand mouvement ; il fut présenté comme une calamité publique, et comme une preuve nouvelle de la malveillance des ennemis de la liberté. Plusieurs membres, au nombre desquels étaient quelques députés à l’Assemblée nationale, ouvrirent des avis pleins de chaleur. J’étais présent à cette séance. Depuis la fin de l’Assemblée constituante, j’ai continué de fréquenter assez assidûment cette société, convaincu que les bons citoyens ne sont pas déplacés dans les assemblées patriotiques qui peuvent avoir une influence salutaire sur les progrès des lumières et de l’esprit public ; également opposé aux ennemis de la Révolution qui voudraient renverser les précieux appuis de la liberté, et aux intrigants qui pouvaient concevoir le projet d’en dénaturer l’esprit, pour en faire des instruments de l’ambition et de l’intérêt personnel. Si j’ai quelquefois senti que cette lutte était pénible, le civisme pur et désintéressé de la majorité des citoyens qui composent cette société m’a donné jusqu’ici le moyen de la soutenir avec avantage. La nature et la véhémence de la discussion qui s’éleva dans l’occasion dont je parle, m’invita à dire mon opinion, et les circonstances actuelles me font presque une loi de la consigner dans cet ouvrage. »

Ah ! quel perpétuel souci de la mise en scène ! Quelle obsession du moi ! Donc Robespierre, pour calmer l’agitation révolutionnaire des Jacobins, qui avait le tort grave de paraître une agitation girondine, dit ceci :

« Les orateurs qui ont parlé avant moi pensent que la patrie est en danger ;