Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/472

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nominal. 234 voix appuyèrent la demande ; 339 dirent non. La majorité se prononçait pour Lafayette. Mais, malgré tout, ce que sa démarche avait d’irrégulier ne pouvait se soutenir que par des coups hardis et rapides. Qu’allait-il faire ? Il n’y avait pour lui qu’une solution : épurer l’Assemblée par l’arrestation et la mise en accusation des députés que l’on pouvait accuser d’une sorte de connivence au moins morale avec l’insurrection du 20 juin, et dissoudre par la force le club des Jacobins. C’était bien un coup d’État : mais, hors de cet acte de violence, Lafayette ne pouvait rien, n’aboutissait à rien. Ce coup d’État eût été funeste, car la Cour n’étant plus surveillée par les forces révolutionnaires aurait eu raison en quelques jours du modérantisme constitutionnel, et c’est à la contre-révolution absolue qu’aurait tourné la crise.

Quel châtiment pour Lafayette, si, à la minute même où il risquait cette entreprise de vanité et de réaction, il avait connu les lettres de trahison échangées entre la Cour et les puissances étrangères que lui, Lafayette, s’imaginait encore combattre !

Heureusement, pour mener à bien ce coup d’État. Lafayette aurait eu besoin du concours absolu de la Cour. Or, elle le haïssait, et se défiait de lui. Elle continuait à le rendre responsable des journées des 5 et 6 octobre, de toutes les humiliations subies depuis, de la quasi-captivité des Tuileries. Lafayette, isolé entre la Révolution et la Cour, ne disposait donc pas de moyens d’action décisifs. Il avait naïvement compté sur sa popularité parisienne, force flottante et décroissante. Il fut applaudi : mais Pétion décommanda une revue de la garde nationale où Lafayette espérait paraître soudain et entraîner les bataillons bourgeois contre les Jacobins.

Lafayette ne put même établir le contact entre lui et la bourgeoisie. Il se sentit bientôt comme perdu dans le vide ; et meurtri, il repartit pour son armée. Il avait menacé : il n’avait pas frappé. Il laissait donc ses adversaires plus forts et plus hardis. Contre lui, les révolutionnaires vont avoir maintenant une arme terrible. De la frontière en effet commencent à arriver de fâcheuses et inquiétantes nouvelles. Le 30 juin Rühl avertit l’Assemblée que « le dernier train d’artillerie vient d’arriver sur le Rhin ». Il s’écrie : « Couvrez le Rhin, couvrez l’Alsace. » Et des rumeurs de trahison s’élèvent contre ceux qui en empêchant la formation du camp de vingt mille hommes sous prétexte qu’il n’y avait point péril urgent, avaient trompé la nation. De plus, le bruit courait qu’à l’armée du Nord, le commandant en chef, Lückner, venait de donner le signal de la retraite.

L’armée qui était entrée en Belgique, qui avait occupé sans difficulté Courtrai, Ypres, Menin avait reçu l’ordre de se replier sur Lille. Pourquoi ? Ce ne pouvait être là, disaient les Girondins une décision spontanée du brave Lückner. Évidemment il obéissait aux instructions des ministres dévoués à la Cour. Gensonné, en cette même séance du 30 juin, formula l’accusation.