Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/490

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pensée Lamourette, évêque de Lyon, ait convié le 7 juillet tous les partis à une réconciliation, à un embrassement fraternel ? La formule politique de cet accord était décevante :

« Une section de l’Assemblée attribue à l’autre le dessein séditieux de renverser la monarchie et d’établir la République ; et celle-ci prête à la première le crime de vouloir l’anéantissement de l’égalité constitutionnelle, et de tendre à la création de deux Chambres ; voilà le foyer désastreux d’une désunion qui se communique à tout l’Empire et qui sert de base aux coupables espérances de ceux qui machinent la contre-révolution. Foudroyons, Messieurs, par une exécration commune et par un dernier et irrévocable serment, foudroyons et la République et les deux Chambres. (Applaudissements unanimes). »

Et toute la Chambre se leva pour attester officiellement qu’elle « rejetait et haïssait également la République et les deux Chambres ! » Vanité des paroles humaines et des artifices de la sentimentalité devant la grande force des choses ! Haïr la République ! Foudroyer la République ! Trois mois après, cette République unanimement haïe, cette République unanimement foudroyée, se dressait sur le monde, passionnait les cœurs et lançait la foudre.

Mais, en vérité, quand Lamourette proposait sa formule d’équilibre, il ne s’agissait point de cela. Il ne s’agissait pas de savoir si, de parti pris et par système, les uns voulaient les deux Chambres et les autres la République. Il s’agissait de savoir si, pour sauver la royauté, on était prêt à compromettre la Révolution, ou si, pour, sauver la Révolution, on était prêt à perdre la royauté. Dès le lendemain, les hommes de la révolution, revenus de la surprise attendrie du baiser Lamourette, raillaient cette vaine parade et cette « réconciliation normande ».

Le journal de Prudhomme rappelait cet apologue oriental du sage persan Saâdi :

« En ce temps-là, Arimane ou le génie du mal, s’apercevant que les hommes éclairés désertaient ses autels, alla vite trouver Oromase ou le génie du bien, et lui dit : « Frère, assez longtemps nous sommes désunis. Réconcilions-nous et n’ayons plus qu’une seule chapelle à nous deux. — Jamais ! lui répondit Oromase bien avisé. Que deviendraient les pauvres humains, s’ils ne pouvaient plus distinguer le bien du mal ?… »

Le torrent révolutionnaire ne fut pas suspendu un seul jour.

Et qu’importe aussi que le Directoire du département de Paris s’acharnât à suspendre Pétion et Manuel ? Le premier mouvement en faveur du roi que les incidents du 20 juin avaient provoqué, allait s’émoussant. Les faubourgs multipliaient les adresses en faveur de Pétion, coupable seulement, comme il le disait lui-même, de n’avoir pas fait verser le sang. Les ministres hésitaient, sentant le péril, à s’engager à fond.