Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/536

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me gardai bien de le dire à ceux qui ne devaient pas le savoir. Je demandai qu’une députation de six membres fût envoyée vers Pétion pour savoir quelle serait la conduite qu’il tiendrait si le château était attaqué. Le président, qui nommait ordinairement les membres de ces sortes de députations, désigna, ainsi que nous en étions convenus, trois membres de la Gironde et trois membres de la Montagne Les premiers furent Gensonné, Isnard et Grange-neuve ; les autres furent Duhem, Albitte et Granet, de Marseille.

« Pétion répondit catégoriquement qu’il se rendrait au château, et que s’il était attaqué, il repousserait la force par la force. Les trois membres de la Gironde déclarèrent en rentrant qu’ils partageaient l’opinion de Pétion et que la violence était un moyen trop chanceux pour qu’ils crussent devoir y prendre part. Cette séance fut la dernière. »

Choudieu est un honnête homme et un homme brave ; c’est lui, on s’en souvient, qui porta le premier à l’Assemblée une pétition de déchéance. Mais il avait la haine des Girondins, et sans doute, pour leur enlever toute part de mérite dans la journée du 10 août, a-t-il donné un contour un peu trop net à leur pensée incertaine. Il en était parmi eux, comme Barbaroux, qui voulaient donner l’assaut, et ceux-là suffisaient sans doute à troubler l’esprit même de ceux qui s’opposaient à la violence.

Il est probable que Pétion ne répondit aussi catégoriquement que parce qu’il trouva la démarche indiscrète et imprudente. C’était par un silence complaisant et par une résistance volontairement équivoque et molle, ce n’était pas par une collaboration avouée qu’il pouvait servir, comme maire, le mouvement insurrectionnel. La démarche même des Girondins, rejoignant le 8 au soir les Montagnards et allant avec eux interroger Pétion, montre bien qu’ils n’avaient pas de résolution très ferme, pas plus dans le sens de la résistance que dans le sens de l’action. Mais ils sentaient bien que la crise était inévitable. Depuis plusieurs semaines la Révolution et la royauté échangeaient des défis publics.

La Cour, depuis la fête de la Fédération, n’avait qu’une pensée, hâter le manifeste des puissances étrangères et fortifier les Tuileries pour résister à l’assaut du peuple. Elle ne savait pas au juste quels étaient les projets de l’Assemblée, très divisée et très incertaine. Mais le péril était imminent. Le 24 juillet, la reine écrit à Fersen :

« Dans le courant de cette semaine, l’Assemblée doit décréter sa translation à Blois et la suspension du roi. Chaque jour produit une scène nouvelle, mais tendant toujours à la destruction du roi et de sa famille ; des pétitionnaires ont dit à la barre de l’Assemblée, que si on ne le destituait, ils le massacreraient. Ils ont eu les honneurs de la séance. Dites donc à M. de Mercy que les jours du roi et de la reine sont dans le plus grand danger ; qu’un délai d’un jour peut produire des malheurs incalculables ; qu’il faut envoyer le manifeste sur-le-champ, qu’on l’attend avec une extrême impatience ; que né-