Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/546

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couvrir son pouvoir de la protection nationale. C’était peut-être tourner vers l’Assemblée elle-même, devenue en apparence solidaire du roi, les forces révolutionnaires.

L’Assemblée le comprit et ne se livra pas. Une proposition moins nette et qui exposait moins l’Assemblée fut formulée alors : elle n’appellerait point le roi, mais elle lui ferait savoir qu’elle était réunie et qu’il pouvait, s’il le désirait, venir auprès d’elle. Mais c’était encore nouer la responsabilité de l’Assemblée à celle du roi. Elle hésita encore, malgré l’émotion visible de Cambon qui s’écria que l’inaction de l’Assemblée serait au moins aussi dangereuse que l’action et qu’il fallait « sauver la gloire du peuple », c’est-à-dire évidemment, préserver la vie du roi. Comme l’Assemblée hésitait encore, et s’immobilisait, lourdement stagnante, sous l’orage, le roi, pressé par le procureur syndic du département, Rœderer, se décidait à quitter les Tuileries pour se rendre à l’Assemblée.

Par l’allée centrale du jardin, puis par l’allée des Tuileries toute jonchée déjà, après un été aride et ardent, de feuilles mortes, la famille royale arriva péniblement, au travers d’une foule à demi incertaine, à demi hostile, jusqu’à la porte de l’Assemblée. Louis XVI ne devait plus rentrer dans la demeure des rois. En ce vendredi, dont l’âme pieuse des royalistes fit un Vendredi saint, il commença sa Passion. Un juge de paix se présenta à la barre de l’Assemblée : « Messieurs, dit-il, je viens vous faire part que le roi, la reine, la famille royale, vont se présenter à l’Assemblée nationale. »

Était-ce un roi qui venait à l’Assemblée, un des pouvoirs de la Constitution qui se réunissait à l’autre ? Ou bien était-ce un proscrit cherchant auprès de l’autel de la loi, que sa trahison avait tenté en vain de renverser, un suprême asile ? Pour l’Assemblée c’était encore un roi, ou du moins une ombre de roi, et 24 députés, ceux qui étaient les plus près de la porte, allèrent au devant de lui, dans le tumulte et la confusion grandissante. Ainsi subsistait au moins le cérémonial de la Constitution. Vergniaud, à ce moment, présidait la séance. L’Assemblée l’avait, si je puis dire, élevé devant elle comme un bouclier éclatant, bouclier de gloire, d’éloquence et de sagesse. Elle savait qu’à la Commission des Douze il avait été temporisateur et prudent, elle pensait donc qu’il n’irait pas en cette crise suraiguë au delà de ce qu’exigeait la force même des choses. Mais le peuple avait gardé le souvenir et pour ainsi dire la vibration du puissant et prophétique discours du 5 juillet. Et l’Assemblée espérait que le reflet de popularité, resté au front du grand orateur, apaiserait au loin la foule soulevée. Le prestige de la gloire suppléerait un moment à l’autorité de la loi.

Quand le roi fut entré et qu’il eut pris place, selon le protocole, aux côtés du Président, il dit à l’Assemblée :

« Je suis venu ici pour éviter un grand crime et je me croirai toujours en sûreté avec ma famille au milieu des représentants de la nation. »