Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/568

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la Révolution lui donne d’emblée une influence bien plus grande, bien plus décisive que celle de la bourgeoisie anglaise, si resserrée encore entre la prérogative royale et la puissance des landlords, et partout la bourgeoisie ne ferait point bon accueil à la Révolution ? Ainsi allaient les espérances ardentes de la Gironde.

Ils n’avaient point assez calculé la force de résistance des préjugés et des habitudes, la susceptibilité des vanités nationales. Mais malgré tout, après bien des délais et des épreuves, c’est leur espérance qui a eu raison. La Révolution française est devenue enfin la Révolution européenne : leur pensée ne faussait pas la marche des choses, elle la brusquait seulement. Et peut-être cette part d’illusion était-elle nécessaire à la grande France généreuse, téméraire et isolée.

Du moins, malgré leurs fautes, les Girondins surent-ils, en cette période, communiquer au pays le sublime enthousiasme qui atténuait le péril. Et contre la royauté leur tactique fut décisive. Dès que se précisa la guerre contre l’Europe, se précisa aussi la trahison royale. Dès lors, le soulèvement du peuple devait tout emporter. Les hésitations suprêmes de la Gironde ne doivent pas nous empêcher de reconnaître que c’est elle qui déchaîna les événements. Et un an après la terreur monarchique et bourgeoise qui suivit le retour de Varennes, le peuple du 10 août abattait la royauté.

La marche des choses avait été si rapide et le coup porté le 10 août fut si foudroyant, que cette journée apparut aux contemporains comme une révolution nouvelle, ou tout au moins comme la vraie Révolution. Pour les Feuillants, pour Barnave, c’est une nouvelle Révolution qui détruit l’œuvre de l’ancienne. La chute de la Constitution lui apparaît comme un événement déplorable, mais égal, par son importance révolutionnaire, à la chute de l’ancien régime.

Pour les démocrates, et pour les Girondins eux-mêmes, c’est enfin le grand jour de la Révolution qui luit après une pâle et douteuse aurore.

« Le temps qui s’est écoulé depuis la Révolution de 1789, dit le journal de Brissot, n’était plus l’ancien régime, ce n’était pas non plus encore la liberté ; il était semblable à cet instant du jour qui suit la fin de la nuit et qui précède le lever du soleil. »

Le 10 août, c’est le premier rayon jaillissant de la République qui touche enfin le bord de l’horizon.

La grandeur de la Législative, malgré ses incertitudes, ses témérités ou ses défaillances, c’est d’avoir à demi préparé et tout à fait accepté ce dénouement éclatant d’une crise périlleuse et obscure. C’est elle, en somme, qui a frayé la route, du Champ-de-Mars où, en juillet 1791, le peuple était fusillé au nom du roi par la Révolution égarée, aux Tuileries, où le 10 août le peuple brisait la royauté.

Brissot a résumé, avec une complaisance mêlée de tristesse, l’œuvre de