Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/66

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l’Empereur n’avait pas voulu tenter ; que ce serait à elle et au roi de Suède que le Roi aurait des obligations qu’il lui aurait été plus doux d’avoir à l’Empereur ; que dans ce cas l’Empereur devait au moins le dispenser de la reconnaissance et ne pas être étonné de celle qu’il témoignerait à ceux qui lui auraient rendu un aussi grand service. M. de Mercy s’est fort mal défendu ; il a allégué qu’un Congrès ne serait d’aucune utilité et qu’il n’aurait rien d’imposant, que faute d’objets à traiter il resterait inactif…, etc. » Faute d’objets à traiter : l’Empereur d’Autriche s’interdisait donc de peser sur la politique intérieure de la France.

Donc dans l’automne de 1791, dans les deux premiers mois de la Législative, en octobre et novembre, deux grands faits sont certains : le premier c’est que la trahison du roi continue. Elle est plus prudente, et comme resserrée par la peur. Elle est aussi coupable.

Le roi veut détourner de lui les entreprises compromettantes des émigrés, mais il persiste, en fait, à appeler l’invasion des étrangers, car ce Congrès, « appuyé d’armées formidables », est le prélude de l’invasion : si la France, en effet, n’accepte pas la Constitution plus qu’à demi-despotique que le Congrès lui proposera, c’est par la force des armes que celui-ci tentera de l’imposer. Donc le roi trahit toujours, quoique d’une main tremblante. Voilà le premier fait incontestable ; et le second, c’est l’hésitation de l’Europe monarchique ou son impuissance à intervenir.

Ces deux faits auraient dû commander toute la politique de la Législative. Elle devait surveiller étroitement les menées du roi, lui imposer des ministres patriotes, amis de la Révolution, se tenir prête à soulever contre lui l’opinion et le peuple, le jour où une démarche coupable aurait révélé sa trahison secrète et s’appliquer avec un soin infini à ne pas provoquer l’Europe, à éviter toutes les chances de guerre.

Tout au contraire, sous l’impulsion de Brissot, la Législative, dans cette période d’octobre 1791 à avril 1792, ménage le roi qui trahissait et provoque l’étranger qui ne voulait point attaquer. Comment expliquer cet immense et funeste malentendu ? Je sais bien que Brissot était un esprit remuant et brouillon. Il avait une haute idée de lui-même, un souci constant de sa personnalité. Il raconte dans ses mémoires qu’enfant, quand il lisait des nouvelles sur les jeux et l’éducation du fils du roi, il se disait à lui-même : « Pourquoi lui, et pourquoi pas moi ? « Il avait fait beaucoup de lectures superficielles et hâtives et il se croyait en état de parler de tout. Il avait séjourné à Londres : il connaissait l’étranger un peu mieux que ses collègues de la Législative et de la presse révolutionnaire, et il affectait de parler toujours des États-Unis, de l’Angleterre, des affaires du monde. Quelle gloire si, par lui, la Révolution emplissait l’horizon universel ! Il rêvait un vaste embrasement de liberté dont la France aurait été le foyer, et sans calculer les périls et les forces il méditait des coups de théâtre.