Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/70

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le peuple au 17 juillet avait pétitionné pour la République ; la Révolution même avait noyé sa pétition dans le sang. Le peuple se taisait maintenant, et sans doute nulle autre brûlure que celle des guerres extérieures ne pourrait l’arracher à son engourdissement. Ainsi ce n’est pas, comme l’ont répété tant d’historiens, l’enthousiasme débordant de la liberté qui a suscité la guerre.

Ce n’est pas de l’exaltation révolutionnaire, c’est au contraire d’une défaillance de la Révolution qu’elle est sortie. Les témoignages abondent sur cet affaissement, sur ce découragement des démocrates, des révolutionnaires dans la période même où flambaient les discours guerriers. Marat a, à cette époque, une crise de désespoir.

Dans le numéro du 21 septembre, il proclame que la Révolution est perdue, et il trace un tableau admirable des forces conservatrices qui se sont développées en elle et qui semblent la maîtriser. « Nous avions conquis la liberté par la plus étonnante des révolutions, mais à peine en avons-nous joui un jour, nous l’avons laissé perdre par notre stupidité, par notre lâcheté et nous en sommes plus loin aujourd’hui qu’avant la prise de la Bastille. On veut que nous ayons des lois qui établissent nos droits ; j’ai démontré cent fois que ces lois sont dérisoires ; mais quand elles ne seraient pas oppressives elles-mêmes, ceux qui sont chargés de leur exécution sont les plus implacables ennemis de la patrie ; ils les font taire ou parler à leur gré ; tour à tour ils les interprètent en faveur des ennemis et contre les amis de la liberté, et toujours les défenseurs des droits du peuple sont immolés avec le glaive de la justice. »

« Ceux qui font honneur de la Révolution à notre courage attribuent la perte de la Révolution à notre défaut actuel d’énergie ; ils se plaignent de ce qu’elle a toujours été en s’affaiblissant et ils disent qu’il nous en reste à peine aujourd’hui quelque étincelle. Mais, nous sommes exactement aujourd’hui ce que nous étions il y a trois ans : c’est une poignée d’infortunés qui ont fait tomber les murs de la Bastille ! qu’on les mette à l’œuvre, ils se montreront comme le premier jour ; ils ne demanderont pas mieux que de combattre contre leurs tyrans ; mais alors ils étaient libres d’agir, et maintenant ils sont enchaînés. »

« Quand on suit d’un œil attentif la chaîne des événements qui préparèrent et amenèrent la suite du 14 juillet, on sent que rien n’était si facile que la révolution ; elle tenait uniquement au mécontentement des peuples, aigris par les vexations du gouvernement, et à la défection des soldats indignés de la tyrannie de leurs chefs.

« Mais quand on vient à considérer le caractère des Français, l’esprit qui anime les différentes classes du peuple, les intérêts opposés des différents ordres de citoyens, les ressources de la Cour et la ligue non moins naturelle que formidable des ennemis de l’égalité, on sent trop que la révolution ne