Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/93

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de tous moyens d’existence. Les roubles de la fière Catherine et les millions de la Hollande se consument en voyages, en négociations, en préparatifs désordonnés et ne suffisent pas d’ailleurs au faste des chefs de la rébellion. Bientôt on verra ces superbes mendiants qui n’ont pu s’acclimater à la terre de l’égalité, expier dans la honte et dans la misère les crimes de leur orgueil et tourner des yeux trempés de larmes vers la patrie qu’ils ont abandonnée ; et quand leur rage, plus forte que leur repentir, les précipiterait les armes à la main sur son territoire, s’ils n’ont pas de soutien chez les puissances étrangères, s’ils sont livrés à leurs propres forces, que seraient-ils si ce n’est de misérables pygmées qui, dans un accès de délire, se hasarderaient à parodier l’entreprise des Titans contre le Ciel ? (Applaudissements.)

« Quant aux Empires dont ils implorent les secours, ils sont trop éloignés et trop fatigués par la guerre du Nord pour que nous ayons de grandes craintes à concevoir de leurs projets. D’ailleurs l’acceptation de l’acte constitutionnel par le roi paraît avoir dérangé toutes les combinaisons hostiles. Les dernières nouvelles annoncent que la Russie et la Suède désarment, que dans les Pays-Bas les émigrés ne reçoivent d’autres secours que ceux de l’hospitalité.

« Croyez surtout, Messieurs, que les rois ne sont pas sans inquiétude. Ils savent qu’il n’y a pas de Pyrénées pour l’esprit philosophique qui vous a rendu la liberté ; ils frémiraient d’envoyer leurs soldats sur une terre encore brûlante de ce feu sacré ; ils trembleraient qu’un jour de bataille ne fît de deux armées ennemies un peuple de frères (Applaudissements) ; mais si enfin il fallait mesurer ses forces et son courage, nous nous souviendrions que quelques milliers de Grecs combattant pour la liberté triomphèrent d’un million de Perses ; et combattant pour la même cause avec le même courage, nous aurions l’espérance d’obtenir le même triomphe.

« Mais quelque rassuré que je sois sur les événements que nous cache l’avenir, je n’en sens pas moins la nécessité de nous faire un rempart de toutes les précautions qu’indique la prudence. Le ciel est encore assez orageux pour qu’il n’y ait pas une grande légèreté à se croire entièrement à l’abri de la tempête ; aucun voile ne nous cache la malveillance des puissances étrangères, elle est authentiquement prouvée par la chaîne des faits que M. Brissot a si énergiquement développés dans son discours. Les outrages faits aux couleurs nationales et l’entrevue de Pilnitz sont un avertissement que leur haine nous a donné, et dont la sagesse nous fait un devoir de profiter. Leur inaction actuelle cache peut-être une dissimulation profonde. On a tâché de nous diviser. Qui sait si on ne veut pas nous inspirer une dangereuse sécurité ? »

Et après avoir ainsi excité l’alarme, après avoir grossi le danger que les émigrés pouvaient indirectement, faire courir à la France, Vergniaud ajoute :

« Ici j’entends une voix qui s’écrie : Où sont les preuves légales des faits que vous avancez ? Quand vous les produirez, il sera temps de punir les cou-