Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/756

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turel bon sens et leur connaissance du commerce fournissent des arguments décisifs contre cette dérision, concluent leurs discours en proposant une émission d’assignats. Je suppose qu’ils sont obligés de parler d’assignats, parce que tout autre langage serait incompris. Aucune expérience de leur inefficacité ne peut les décourager enfin. »

Et Burke, abondant dans sa verve bouffonne, parodie la cérémonie du Malade imaginaire.

« Les assignats sont-ils dépréciés sur le marché ? Quel est le remède ? Émettre de nouveaux assignats. — Mais si maladia, opiniatria, non vult se garire, quid illi facere ? Assignare, postea assignare, ensuita assignare. »

L’ assignare, par une burlesque allitération, se substitue au traditionnel saignare. Et Burke, en un éclair prophétique tout ensemble et caricatural, nous fait entrevoir dans le lointain la chute finale du papier, la spéculation effrénée de ce qui sera le Directoire.

« La France sera entièrement gouvernée par des agitateurs en corporations, par des sociétés dans les villages formées des directeurs d’assignats, par des avocats, des agents, des agioteurs, composant une ignoble oligarchie, fondée sur la destruction de la couronne, de l’Église, de la noblesse et du peuple. »

Quand je transcris ces imaginations énormes de Burke, auxquelles la tragi-comédie de la Révolution finissante donnera un semblant de vérité, je me prends à admirer, au contraire, la géniale audace des révolutionnaires. Oui, pour parler à la manière de Burke, c’est un prodigieux navire de papier qui a porté à travers les orages, sur les flots soulevés, la Révolution et sa fortune. Que répond Mackintosh à cette orgie d’images brillantes et de prophéties sombres ? L’opération des assignats a été doublement bonne : politiquement et économiquement :

« L’établissement du papier-monnaie, représentant la propriété nationale, était destiné à permettre la vente de cette propriété et à suppléer aux espèces qui manquaient. Ici, comme en bien d’autres points, les prédictions des adversaires ont été complètement démenties. Ils prédisaient qu’aucun acquéreur ne se trouverait assez hardi pour confier sa propriété à un établissement aussi nouveau et aussi peu sûr. Mais la propriété nationale a été achetée dans toutes les parties de la France avec la plus grande avidité. Ils prédisaient que l’estimation de sa valeur devrait à l’épreuve apparaître exagérée, mais elle a été payée généralement deux et trois fois plus qu’elle n’était estimée. Ils avaient prédit que la dépréciation des assignats hausserait, en effet, le prix des objets nécessaires à la vie, et tomberait de la façon la plus cruelle sur la classe la plus indigente. Et ce qui s’est produit, c’est que les assignats, soutenus dans leur crédit par la vente rapide de la propriété qu’ils représentaient, se sont maintenus au pair, que le prix des nécessités de la vie a baissé et que les souffrances des indigents ont été considérablement allégées. Des millions