Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/100

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die… Il s’agit de la tragédie que vous devez donner aux nations. Il s’agit de faire tomber sous la hache des lois la tête du tyran. »

Puis, comme autour de la lettre folle de Roland le débat traînait, il demanda que la Convention statuât, « sans désemparer, sur le sort du ci-devant roi ». Mais comment statuer ? et quelle majorité serait nécessaire  ? Plusieurs prétendaient que la Convention devait s’inspirer du Code pénal qui exigeait, pour l’application des peines, plus que la majorité absolue (les deux tiers ou les trois cinquièmes des jurés suivant les cas). Danton soutint que le jugement rendu pour Louis était un décret du souverain, et que la majorité absolue devait suffire comme pour tous les décrets :

« Je demande pourquoi, quand c’est par une simple majorité qu’on a prononcé sur le sort de la nation entière, quand on n’a pas même pensé à élever cette question lorsqu’il s’est agi d’abolir la royauté, on veut prononcer sur le sort d’un individu, d’un conspirateur, avec des formes plus sévères et plus solennelles. »

Et comme le rejet déjà prononcé de l’appel au peuple servait d’argument à ceux qui demandaient plus de garanties pour ce jugement désormais définitif, ce fut une occasion pour Danton de revenir sur la question décidée en son absence et de la marquer de son empreinte : « Nous prononçons, comme représentant par provision la souveraineté. Oui, par provision, car c’est dans le peuple seul qu’elle réside. Je demande, si quand une loi pénale est portée sur un individu quelconque, vous renvoyez au peuple, ou si vous avez quelque scrupule à lui donner une exécution immédiate. Je demande si vous n’avez pas voté à la majorité absolue seulement la République, la guerre : et je demande si le sang qui coule au milieu des combats ne coule pas définitivement. »

C’était un mot d’une logique terrible. À la majorité absolue, et sans appel au peuple, le sang de Louis peut bien couler aussi définitivement. Pourquoi Danton, peu prodigue d’habitude de manifestations, intervint-il trois fois dans cette séance, toujours dans le sens de la mort et comme pour appeler sur lui les décisives responsabilités révolutionnaires ?

Cédait-il, en se retrouvant dans la Convention après une assez longue absence, à l’exubérance naturelle des hommes qui ont gardé un long silence ? Ou bien, quoiqu’il n’eût pas le goût d’être toujours en scène, et qu’il aimât au contraire, en pleine agitation, les intervalles d’obscurité, de repos et d’oubli, avait-il quelque regret de n’avoir pas été mêlé de plus près au drame le plus émouvant de la Révolution, et voulait-il graver son nom sur la cloche qui allait sonner à l’univers la mort tragique d’un roi ? Peut-être encore, selon sa tactique accoutumée, voulait-il reprendre contact avec l’énergie révolutionnaire, avec la simplicité un peu brutale de la conscience populaire, afin de conquérir par là la force et le droit de conseiller bientôt et d’imposer la modération. Il ne s’était pas lié à Dumouriez ; mais il s’était avancé dans la