Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/111

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mière sentence en faveur du roi était annulée. C’est sans doute de cette intrigue et de l’émotion du vote équivoque auquel il se prêta, que datent ces terreurs de Mailhe que Baudot a notées. Mais, en tout cas, quel que fût le mode adopté par la Montagne et Paris pour revenir sur le jugement, c’eût été la guerre civile entre les deux fractions de la Convention. Et, sans doute, la lutte qui éclatera en juin entre les départements, soulevés pour la défense des Girondins proscrits, et Paris, eût éclaté dès lors. La Gironde aurait eu, dans cette lutte, un malheur immense. Malgré elle, elle aurait apparu comme le parti du roi. L’humanité, la pitié, aurait été, sans qu’elle le voulût expressément, le point de ralliement de la contre-révolution.

Il est déjà significatif que les députés des quatre départements qui forment le cœur même et le dur noyau de la Bretagne : le Finistère, le Morbihan, les Côtes-du-Nord, l’Ille-et-Vilaine, aient presque tous voté contre la mort : 25 contre 9. Des treize députés du Calvados, qui jouera un si grand rôle bientôt dans la guerre girondine, un seul, Jouenne-Longchamp, vota la mort sans condition, et encore indiqua-t-il la possibilité d’un sursis. Les douze autres votèrent le bannissement. Dans la Mayenne, sur 8 députés, 2 seulement votèrent la mort sans condition, 4 votèrent le bannissement, et 3 votèrent la mort conditionnelle, expressément subordonnée à un sursis.

Chose curieuse ! En Vendée, au contraire, presque tous les représentants votèrent la mort, 7 contre 2. Mais dans les départements qui seront le refuge de la Gironde ou son point d’appui, dans cette partie de la Normandie qui est adossée à la Bretagne et dans la presqu’île bretonne, l’immense majorité des représentants est contre la mort. Pourquoi ? Ils n’étaient pas royalistes. Tous avaient déclaré, et en toute sincérité, Louis coupable. L’intrépide et obstiné Lanjuinais, quand il motive son vote, ne cherche pas à excuser le roi :

« Comme homme, je voterais la mort de Louis ; mais comme législateur, considérant uniquement le salut de l’État et l’intérêt de la liberté, je ne connais pas de meilleur moyen pour les conserver et les défendre contre la tyrannie, que l’existence du ci-devant roi. Au reste, j’ai entendu dire qu’il fallait que nous jugeassions cette affaire comme la jugerait le peuple lui-même. Or, le peuple n’a pas le droit d’égorger un prisonnier vaincu ; c’est donc d’après le vœu et les droits du peuple, et non d’après l’opinion que voudraient vous faire partager quelques uns d’entre nous, que je vote pour la réclusion jusqu’à la paix, et pour le bannissement ensuite, sous peine de mort au cas qu’il rentrât en France. »

Non, ils n’étaient pas royalistes. Mais sans doute dans l’Ouest, qu’ils représentaient et dont ils reflétaient la pensée, il se faisait dans les esprits un mélange confus de pitié, de résistance, de défiance. Ces hommes commençaient à dire : c’est assez. Ils avaient peur que la Révolution, en déracinant tout le passé, touchât à quelques fibres de leur cœur, à leur foi religieuse ; ils craignaient aussi que Paris absorbât un peu trop, dans sa fièvre, l’habitude