Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/122

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adresse de Barère expliqua à la France la sentence de mort portée contre Louis.

Mais quelle politique la Convention allait-elle suivre à l’égard de la coalition ? Cette guerre universelle est comme un océan trouble, sans rivage et sans fond. La Révolution va-t-elle donc se livrer à une aventure indéfinie ? Luttera-t-elle, conformément à l’esprit du décret du 15 décembre, jusqu’à ce qu’elle ait renouvelé le monde, appelé à la liberté toutes les nations ? Ce serait une gageure de folie.

Mais déjà Condorcet faisait des réserves au sujet de ce décret du 15 décembre. Il disait que quelques-uns de ses termes pouvaient prêter à de dangereuses interprétations. Robespierre, dans une lettre à ses commettants publiée peu après la mort du roi, et au moment où il est visible que la Convention va être engagée dans une lutte formidable, formule, au sujet du décret du 15 décembre, des regrets. Il a peur qu’il entraîne la France à intervenir beaucoup trop dans la vie intérieure des peuples, dans leur évolution politique encore bien lente et bien incertaine.

« Elles sont séduisantes, elles sont magnifiques, sans doute, ces dispositions du célèbre décret du 15 décembre. Elles paraissent dictées par le génie de la liberté ; elles honorent celui qui, le premier, en a de bonne foi conçu ou adopté l’idée. D’un côté, il est vrai, elles semblent entamer le principe sacré de la souveraineté des peuples ; de l’autre, il est des circonstances impérieuses, où l’intérêt de l’humanité, comme celui d’un peuple en particulier, peuvent justifier quelques dérogations aux règles ordinaires. Mais c’est surtout dans ces occasions qu’il faut peser mûrement toutes les considérations politiques, et balancer l’empire des principes généraux avec celui de la nécessité. Je les ai examinés avec toute l’attention dont j’étais capable, et j’avoue que cette question délicate me parait mériter un examen beaucoup plus approfondi que celui qu’elle a obtenu. Combattu entre mes propres réflexions et l’ascendant d’une opinion adoptée par enthousiasme, il m’est resté le vif désir de voir l’exécution de cette grande mesure préparée et dirigée par une profonde sagesse et par la connaissance exacte du pays auquel elle doit s’appliquer. J’en suis le premier partisan, si je la considère comme un moyen d’aider la majorité à exprimer ses vues en faveur de l’égalité, mais si elle contrariait l’opinion générale, si elle rencontrait assez d’obstacles dans les préjugés, quels qu’ils soient, pour avoir besoin de les surmonter par une longue violence et par un combat incertain, je ne pourrais m’empêcher de la trouver impolitique et dangereuse ; je serais forcé de déplorer la précipitation avec laquelle elle aurait été adoptée. Je désire donc que vos commissaires commencent par sonder la disposition générale des esprits, et par calculer toutes les circonstances avec une sévère impartialité, pour éclairer votre sagesse sur les avantages et sur les inconvénients de cette disposition. Jusque-là, je désire qu’elle soit regardée plutôt comme invitatoire que comme coac-