Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/139

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truction mal entendues, notre prétention de précision et de perfection sur beaucoup de points minutieuse et ridicule. Je répondrai que la preuve que nos soldats ne sont pas assez occupés, c’est que pour remplir, dit-on, leur temps, on les surcharge de règles de discipline inquiétantes et odieuses. C’est qu’on a créé une tenue qui leur fait passer trois heures par jour à leur toilette, qui en fait des perruquiers, des polisseurs, des vernisseurs, tout, en un mot, hormis des gens de guerre. Et que résulte-t-il de cette vie fainéante et pourtant pénible, de ces travaux qui se font la plupart assis et à l’ombre ? C’est qu’un soldat qui a servi dix ans, ayant perdu toute souplesse, toute aptitude aux travaux du corps, est contraint de se faire artiste, laquais ou mendiant. Qu’arriverait-il de l’échange de ces occupations frivoles en travaux durs et pénibles ? C’est qu’un laboureur serait plus propre à être soldat ; c’est qu’un soldat quittant ses travaux, reprendrait sans peine la bêche et la charrue. »

Quand déjà, sous l’ancienne monarchie, les écrivains militaires discréditaient à ce point le régime de la caserne, comment les révolutionnaires auraient-ils eu quelque goût pour lui ? J’ai déjà cité le rapport de Carnot à la Législative où il proposait une organisation analogue à celle des Suisses. C’était, avec l’accent démocratique et révolutionnaire, la reprise des idées de Guibert. Et que dit dans l’introduction à ses Mémoires le maréchal Gouvion Saint-Cyr qui, jeune, a pris part aux guerres de 1792 et de 1793 ? Comment caractérise-t-il les troupes de ligne et les volontaires ?

« Les régiments de ligne ne manquaient pas absolument d’instruction ; mais ils n’avaient que celle nécessaire à la parade et dans les évolutions de la paix ; ils étaient extrêmement faibles, ayant beaucoup perdu par la désertion. Le recrutement ne pouvait les compléter. Les jeunes gens préféraient d’entrer dans les bataillons de volontaires.

« En général, la troupe de ligne était favorable à la Révolution qui l’avait soustraite à la discipline allemande, introduite si impolitiquement sous le ministère de M. de Saint-Germain : cet esprit était soutenu par les sous-officiers devenus officiers ; cependant quelques corps, surtout ceux qui étaient composés d’étrangers, laissaient apercevoir des dispositions moins favorables, qui diminuaient la confiance qu’on aurait dû avoir sur l’ensemble. Cette troupe était d’un physique faible, comme le seront toujours celles qui auront longtemps habité les casernes. Le soldat n’y reçoit qu’une nourriture insuffisante ; les vices qu’il y contracte à la suite de l’oisiveté et les maladies graves qu’ils amènent, ont bientôt détruit la santé du plus robuste, et le mettent hors d’état de supporter les fatigues de la guerre. Il n’en était pas de même des deux cents bataillons de volontaires ; sous les rapports du complet, de la vigueur et de l’esprit patriotique, ils ne laissaient rien à désirer, et pouvaient être cités pour modèle. »

Ce n’est donc pas pour encadrer les volontaires dans les troupes de ligne que Dubois-Crancé proposait l’amalgame. Au demeurant, les bataillons ne se