Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/155

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nous tendons au même but. Nos délibérations sont bruyantes ; eh ! comment ne pas s’animer en discutant d’aussi grands intérêts ? C’est la passion du bien qui nous agite à ce point ; mais une fois le décret rendu, le bruit finit et la loi reste. »

C’était une magnifique illusion de concorde, car tout annonçait de grands et prochains déchirements. La mort de Louis XVI avait exalté la passion révolutionnaire. Elle avait fait goûter à la Révolution la saveur amère de la mort. Sous le coup des périls amoncelés par la guerre extérieure et les dissentiments intérieurs, quelques-uns commençaient à se dire que la guillotine était une solution, et qu’elle n’avait pas épuisé dans la mort du roi sa vertu pacifiante. C’est en février que les Jacobins entendent sans protestation la sinistre parole : « Il faut promener en France le rasoir national. » Pourtant la guillotine n’était pas encore à l’ordre du jour. Mais l’idée vague d’en finir avec la Gironde commençait à se préciser. Le procès du roi avait fourni contre les Girondins un argument terrible : « Ils avaient voulu sauver le tyran. »

Les groupements révolutionnaires qui avaient été si actifs de la fin de juillet à la fin de septembre 1792, pendant toute la période du Dix-Août, et qui avaient été amortis ensuite par l’autorité souveraine de la Convention se réunissaient de nouveau et s’agitaient. Ils se proposaient de peser sur la Convention, d’obtenir d’elle des mesures plus énergiques dans l’ordre économique et social comme dans l’ordre politique.

Avant le Dix-Août, la force révolutionnaire avait été formée par des délégués des sections et par des fédérés appelés à Paris. Cette force révolutionnaire dirigée surtout contre la royauté, contre les Tuileries, avait eu à l’égard de la Commune une attitude compliquée et habile. Elle l’avait tout ensemble dominée et utilisée. Elle s’était servie de la popularité subsistante de Pétion, sans se lier à sa faiblesse. Il y avait eu une sorte de Commune extra-légale, fonctionnant à côté de la Commune légale, et s’en servant avant de la remplacer. Un moment, la Commune révolutionnaire du Dix-Août avait été la maîtresse de Paris, et une des forces principales de la Révolution.

En décembre 1792 et janvier 1793, la Commune provisoire héritière de la Commune révolutionnaire du Dix-Août, avait gardé encore une action assez grande ; par son procureur Chaumette et son substitut Hébert, elle était en communication avec les éléments populaires. Elle n’avait plus pourtant assez de vigueur, assez d’audace pour se dresser contre la Convention et pour lui imposer une politique plus hardie. Elle était un peu gênée par le maire à tendance girondine, Chambon. Surtout, elle avait tourné peu à peu, comme tous les pouvoirs qui durent, à la légalité. Elle avait été prise dans le formidable engrenage de la Convention. Appelée souvent à la barre pour rendre compte de l’état de Paris, un peu troublée par le souvenir des journées de septembre qui étaient désavouées de toutes parts, elle n’était plus capable d’un grand effort spontané de Révolution. Hébert, Chaumette pouvaient bien