Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/195

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ses journaux disait : « Voilà bien l’effet des prédications anarchistes ! On n’a pas respecté les personnes en septembre : on ne respecte pas la propriété en février : c’est logique. » Les Jacobins s’empressèrent de désavouer le mouvement et de dégager leur responsabilité. Et il est vrai qu’ils n’y étaient pour rien, qu’il était même en partie dirigé contre eux. Leur tactique fut de le dénoncer comme une manœuvre des contre-révolutionnaires et comme une intrigue des Girondins eux-mêmes. Robespierre n’osa pas nier tout à fait le caractère populaire du mouvement, mais après l’avoir un moment reconnu, il insista longuement sur le complot de la contre-révolution. À vrai dire, la Révolution était perdue, si, sous prétexte de réprimer l’accaparement, elle laissait le peuple entrer dans la voie du pillage, ou si même elle laissait ébranler toute la propriété avant qu’un système nouveau fût préparé dans la société et dans les esprits.

« Comme j’ai toujours aimé l’humanité, dit Robespierre, et que je n’ai jamais cherché à flatter personne, je vais dire la vérité. Ceci est une trame ourdie contre les patriotes eux-mêmes. Ce sont les intrigants qui veulent perdre les patriotes. Il y a dans le cœur du peuple un sentiment juste d’indignation. J’ai soutenu au milieu des persécuteurs, et sans appui, que le peuple n’a jamais tort : j’ai osé proclamer cette vérité dans un temps où elle n’était pas encore reconnue : le cours de la Révolution l’a développée.

« Le peuple a entendu tant de fois invoquer la loi par ceux qui voulaient le mettre sous le joug qu’il se méfie de ce langage.

« Le peuple souffre ; il n’a pas encore recueilli le fruit de son travail ; il est encore persécuté par les riches, et les riches sont encore ce qu’ils furent toujours, c’est-à-dire durs et impitoyables (Applaudissements).

« Le peuple voit l’insolence de ceux qui l’ont trahi : il voit la fortune accumulée dans leurs mains, il sent sa misère, il ne sent pas la nécessité de prendre les moyens d’arriver au but, et lorsqu’on lui parle le langage de la raison, il n’écoute que son indignation contre les riches, et il se laisse entraîner dans de fausses mesures par ceux qui s’emparent de sa confiance pour le perdre.

« Il y a deux causes : la première, une disposition naturelle dans le peuple à chercher les moyens de soulager sa misère, disposition naturelle et légitime en elle-même ; le peuple croit qu’à défaut de loi protectrice il a le droit de veiller lui-même à ses propres besoins.

« Il y a une autre cause : cette cause, ce sont les desseins perfides des ennemis de la liberté, des ennemis du peuple, bien convaincus que le seul moyen de nous livrer aux puissances étrangères, c’est d’alarmer le peuple sur ses subsistances, et de le rendre victime des excès qui en résultent. J’ai été moi-même témoin des mouvements. À côté de citoyens honnêtes, nous avons vu des étrangers et des hommes opulents revêtus de l’habit respectable des sans-culottes. Nous en avons entendu dire : « On nous promettait l’abon-