Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/212

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feuillants et leur complaisance ou leur indulgence pour les royalistes allait grandissant à mesure que la Révolution s’exaspérait. J’ai noté, à propos des cahiers de Lyon, que l’aristocratie traditionnelle y était plus progressive, plus moderne et libérale qu’ailleurs, parce qu’elle s’était intéressée et mêlée aux grandes affaires de la cité ; mais en revanche les grands marchands aussi avaient moins de défiance à l’égard de cette aristocratie, et devant le « péril social », ils étaient prêts à faire cause commune avec elle. En tout cas, ils ne la troublaient pas et ne la surveillaient guère dans ses tentatives secrètes d’organisation. Même des amis de Roland, comme Vitet, lui écrivaient en novembre :

« Nous devons le dire hautement, les classes les moins aisées sont seules dans le vrai sens de la Révolution. C’est là seulement que nous avons trouvé des républicains. Parmi les riches, l’esprit public est mauvais ».

Ils ajoutaient : « Les corps administratifs sont sans énergie et presque sans moyens. Les tribunaux n’ont pas la confiance du peuple. » Ils signalaient « la coupable indifférence des riches pour la chose publique. »

Sous ces administrations molles ou complaisantes, les éléments contre-révolutionnaires du Midi et du Centre avaient trouvé un abri à Lyon. Les hommes compromis dans les luttes d’Avignon, d’Arles, de l’Ardèche, de la Lozère, trouvaient, sous de faux noms, un refuge dans la grande cité : les conspirateurs du camp de Jalès ou d’ailleurs, qui avaient manqué leur coup, y venaient reprendre haleine en attendant des jours meilleurs. C’est Vitet lui-même qui parle à Roland de « la protection accordée à Lyon aux aristocrates d’Avignon, d’Arles, de Nîmes, de l’Ardèche et de la Lozère. » Roland lui-même, par ses perpétuelles déclamations ministérielles contre la Commune de Paris, contre « les anarchistes », contre toutes les mesures vigoureuses, perquisitions, certificats de civisme, etc., qui pouvaient atteindre les aristocrates, paralysait chez ses amis même les moins suspects de tendresse pour la royauté, l’action révolutionnaire.

De l’ardent et profond catholicisme de la sévère cité bien des traces subsistaient ; de même que les nobles, les prêtres réfractaires abondaient à Lyon. Les communautés religieuses, malgré le décret rendu en août par la Législative, ne s’étaient pas dissoutes ; le 6 janvier 1793, une pétition de la section du Change (citée par M. Charlety dans sa substantielle et pénétrante étude sur le 29 mai à Lyon) demande la dispersion des communautés de religieux et congrégations de lazaristes, joséphistes, oratoriens. Les Conventionnels Lacombe Saint-Michel, Salicetti et Delcher allant en Corse, et de passage à Lyon, écrivent à la Convention, le 20 février :

« Lyon est un foyer de contre-révolution ; dans les tables d’hôte, il est dangereux de se montrer patriote ; il existe plus de six cents commis de boutique qui ne sont que des ci-devant officiers de troupes de ligne qui ont émigré et qui sont rentrés en qualité de commis de magasin. »