Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/216

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lesse des rolandiens, mette la main sur la cité, et les grands industriels, les grands marchands, exerceront sur les artisans et les ouvriers ce despotisme que même sous l’ancien régime ils ne purent maintenir que par d’incessantes répressions. Que le parti de la Révolution l’emporte, que sa victoire soit définitive et totale, qu’elle refoule aussi bien les Feuillants, les grands bourgeois modérés que les royalistes, et les ouvriers, les artisans pourront défendre contre le patronat, avec la force du pouvoir politique enfin conquis, le salaire que même sous l’ancienne monarchie ils avaient le courage de protéger et de hausser par la révolte et par la grève.

J’ai dit au début de cette histoire que, déjà en 1789, la question sociale était posée à Lyon avec plus de netteté qu’en aucun autre point du pays : j’ai dit que les artisans et les prolétaires y avaient une conscience de classe étonnamment éveillée : j’ai marqué comment, aux élections pour la Convention, quelques-uns des choix de Rhône-et-Loire eurent un caractère particulièrement prolétaire, et j’ai donné tout de suite la parole à Noël Pointe « ouvrier armurier », pour que le sens de quelques-uns des choix faits par la région lyonnaise apparût d’emblée. Ce caractère prolétaire de quelques-uns des députés à la Convention de Rhône-et-Loire, de ceux qui sont maintenant les répondants de Chalier devant la Convention, Guillon l’a noté à sa manière, insultante et haineuse. Il prétend que c’est sous la brutale pression des ouvriers que les élections furent faites :

« L’assemblée électorale fut convoquée à Saint-Étienne-en-Forez, ville fameuse par sa manufacture d’armes et par une population d’ouvriers forgerons, non moins « brutale que nombreuse ».

« Le sang des gens de bien y avait déjà coulé plus d’une fois. Elle fut jugée propre à réunir en ses murs ceux qui devaient élire les députés à la Convention et à diriger les élections selon les vues des clubistes : les suffrages se portèrent d’abord sur ce vil et infâme Cusset, ouvrier en gazes, homme crapuleux, dont le patriotisme consistait à demander sans cesse qu’on promenât des têtes au bout des piques. » L’ouvrier en gazes Cusset, l’ouvrier armurier Pointe vibraient de la même passion que Chalier. Ainsi, sur les événements révolutionnaires de Lyon, c’est toujours la lutte sociale qui met son empreinte. Et comment le permanent antagonisme des maîtres et des ouvriers n’y aurait-il pas été aiguisé encore par la crise des prix ? Naturellement, la hausse des denrées, qui tenait à des causes générales, s’était produite à Lyon comme à Paris. Et à Lyon comme à Paris les pauvres se plaignaient de « l’accaparement ».

Ce n’était pas une légende et un vain mot. S’il est vrai que partout les capitalistes se servaient des moyens immenses d’achat que la Révolution avait mis en leurs mains pour absorber toutes les matières disponibles et monopoliser le commerce et l’industrie, cela devait être encore plus vrai