Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/23

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eut la sottise de dire : « Je demande qu’il soit ajouté à la proposition de Buzot, ces mots : à moins que ce ne soit dans les assemblées primaires. » Oui, c’était une sottise et doublement, car le peuple n’a pas le droit de renier sa propre souveraineté, et Merlin faisait vraiment trop le jeu de Buzot. On devine le parti qu’en sut tirer Guadet. Merlin, selon lui, venait de donner la clef de toutes les agitations de l’extrême-gauche : elles tendaient à ramener le despotisme. Voilà donc tout le parti de Robespierre, de Danton, de Marat, transformé en parti royaliste. Admirable opération ! Dès lors, le procès le plus urgent n’était pas le procès du roi : c’était le procès des royalistes. Un Conventionnel s’étant écrié : « Prononçons la mort de Louis XVI ». Louvet lui répondit : « Avant tout, prononçons un décret de mort contre les royalistes. » À Marat, à Robespierre et à Danton, la Gironde réservait ainsi la priorité de l’échafaud : ils auraient le pas sur Louis XVI. L’insinuation se précise : Ils ne veulent perdre le roi que pour donner la couronne à un autre Bourbon. Et comme la Convention vient de décider que « chaque jour elle s’occupera depuis onze heures jusqu’à six, de l’affaire du roi, exclusivement à toute autre, jusqu’à ce qu’elle soit terminée », la Gironde fait élargir ce texte et la Convention adopte une motion additionnelle : « La Convention nationale discutera sans interruption et prononcera sur la famille des Bourbons. »

Vraiment, après ces manœuvres girondines, on ne sait plus au juste quel est le procès qui va se juger : Est-ce bien celui de Louis XVI ? ou est-ce celui des Montagnards accusés de complicité avec le duc d’Orléans aspirant à la royauté ? Mais quel sinistre enfantillage et quelle incohérence lugubre !

Supposons un instant que la tactique de la Gironde ait abouti. Supposons que la France et la Convention soient convaincues que l’extrême-gauche est vendue aux rois. Dès lors, c’est contre Robespierre et son parti que porte tout l’effort révolutionnaire : Louis XVI est oublié au Temple, et le procès du roi a fait place au procès des démocrates. La Révolution est perdue, car elle s’est décimée elle-même et elle a épargné le roi. Ainsi la politique de la Gironde ne pouvait se développer jusqu’à ses conséquences logiques sans tuer la Révolution. Mais il était impossible qu’elle allât jusqu’au bout. Il y avait folie d’espérer qu’au procès du roi se substituerait le procès de Robespierre, et que la nation prendrait vraiment pour des royalistes les démocrates de la Convention. Les Girondins ne pouvaient donc pas détourner le cours des événements : ils ne pouvaient que fausser le problème, énerver le peuple par l’attente et exaspérer leurs adversaires. Et comment, dès lors, pouvaient-ils espérer pour le roi une politique de clémence ?

Pour que la Révolution, après avoir jugé le roi, lui fit grâce de la vie, il fallait que tous les partis réconciliés pussent opposer aux soupçons et aux haines une unanimité généreuse. Et les Girondins ne paraissaient ménager