Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/235

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turier à la tête fertile, qui croyait que tout lui était possible, et qu’il réussirait toujours ou à séduire les hommes ou à les effrayer, ou à ensorceler les événements ou à les enchaîner. Mais il ne pouvait révéler tout ce projet, puisque, dans une de ses alternatives, il supposait l’écrasement des Impériaux qu’après sa trahison il ménageait. Il est impossible d’admettre qu’après avoir donné à la France le bienfait immense de la paix assurée avec la Hollande et surtout avec l’Angleterre, il allait se retirer, abandonner son armée, qui était son asile et sa force, et se convertir en un misérable émigré impuissant. Ou bien cette feinte retraite à la Haye, tout près de son armée et de la France, n’aurait eu d’autre objet que de provoquer un mouvement d’opinion en sa faveur. Il eût apparu, du moins il l’espérait, comme l’homme nécessaire, et il aurait marqué, dans son manifeste, quelles conditions il mettait à son concours. Comment aurait-il pu se dérober soudain, puisque la paix avec l’Angleterre aurait été conclue par lui avec des clauses définies par lui, et que lui seul aurait pu faire respecter ? La paix négociée et signée par lui ne valait que si lui-même restait une force, ou mieux, s’il devenait la force dominante en France. Et il se proposait sans doute de dire à la France : « Ou bien vous serez avec moi, et vous aurez la paix, ou bien vous serez contre moi, et vous aurez la guerre et la défaite. »

La déclaration de guerre de la France à l’Angleterre coupa court à ces combinaisons dès le début de février, et c’est vers une autre solution, que d’ailleurs il n’avait jamais entièrement perdue de vue, que se tourna Dumouriez. Il se proposa de conquérir, le plus rapidement possible, et presque au pas de course, la Hollande. Arrêta-t-il dès lors, dans son esprit, la conduite qu’il tiendrait après avoir en effet conquis la Hollande ? Il l’a prétendu dans ses Mémoires.

« En cas de réussite, Dumouriez avait le projet, dès qu’il serait maître de la Hollande, de renvoyer dans les Pays-Bas tous les bataillons de volontaires nationaux, et de s’environner de troupes de ligne, et de ses généraux les plus affidés ; de faire donner par les États Généraux (de Hollande) des ordres pour faire rendre toutes les places, de ne laisser faire dans le gouvernement que les changements les plus indispensables ; de dissoudre le comité révolutionnaire hollandais, à qui il annonça d’avance qu’en cas de réussite chacun d’eux, en supposant qu’il eût la confiance de ses concitoyens, entrerait dans les places d’administration de la province dont il était ; de préserver la république batave des commissaires de la Convention et du jacobinisme ; d’armer sur-le-champ à Rotterdam, en Zélande et dans le Texel, une flotte pour s’assurer des possessions (hollandaises) de l’Inde, et en renforcer les garnisons ; de placer dans le pays de Zutphen et dans la Gueldre hollandaise une armée d’observation de trente mille hommes ; de donner de l’argent et des armes, pour mettre sur pied trente mille hommes du pays d’Anvers, des deux Flandres et de la Campine, sur lesquels il pouvait compter ;