Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/286

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Il pressentait les orages prochains qui allaient éclater sur elle, et il aurait voulu supprimer l’influence girondine à la Convention sans toucher à la personne et même au mandat des Girondins eux-mêmes ; quelle plus favorable occasion que la crise qui obligeait à fortifier et à renouveler tous les pouvoirs ? Ce qui s’était passé quelques semaines avant pour le Comité de sûreté générale était de bon augure. Ce comité qui avait une si grande puissance, puisqu’il avait pour mission de faire arrêter quiconque était suspect de complicité avec les royalistes et avec les ennemis de la Révolution, était d’abord, en octobre, aux mains des Montagnards. La Gironde, au commencement de janvier, y était entrée en force et y avait conquis la majorité. Mais sous le coup de l’émotion produite par l’assassinat de Lepelletier, les Montagnards en étaient redevenus les maîtres. Étendre au Comité de défense générale et au ministère la victoire de la Montagne au Comité de sûreté générale, était à ce moment la tactique essentielle de Robespierre : et la motion de Danton avait au moins à ses yeux cet avantage de poser avec éclat le problème d’une réorganisation générale. Au demeurant, et c’est l’honneur de Robespierre, il semble bien qu’en ces premiers jours de mars, devant l’étendue du péril qui se révélait, il ait subi la forte action de Danton : et quoique celui-ci, par quelques-uns de ses mots, semblât se distinguer de Robespierre :

« Je n’ai point de haine, non par vertu, mais par tempérament » ; quoique Danton fût déjà ébranlé par les événements de Belgique, Robespierre collabora loyalement avec lui. J’observe même que dans les notes abominables que Robespierre rédigera plus tard pour Saint-Just, et où il calomnie criminellement tous les actes, toutes les paroles, toutes les pensées de Danton, Robespierre a respecté ces premières journées de mars : il n’a pas tenté de les empoisonner par des interprétations scélérates. Ah ! qu’il est difficile à l’homme de juger l’homme et de marquer le niveau des âmes tourmentées, mouvant chaos de sommets et d’abîmes ! En ce point, l’effort combiné de Danton, de Robespierre et de Marat échouera devant la résistance de la Gironde et du centre. Mais le germe du Comité de salut public et du gouvernement révolutionnaire était semé, et l’action commune des trois hommes qui forment vraiment à cette heure, sans entente préalable, un triumvirat de défense nationale et de Révolution fut assez puissante pour conduire un moment les événements. Contre leur union se brisèrent aussi bien les tentatives anarchiques des forces tumultueuses que les combinaisons de la Gironde. La Commune, avec Hébert, avec Chaumette, soutint à fond les trois chefs de la Montagne. Et, comme eux, avec eux, elle s’efforçait tout ensemble, par des appels véhéments et sages, d’enflammer et de régler le patriotisme. Paris se levait de nouveau et en un élan admirable, plus beau et plus pur qu’en septembre, parce qu’il ne portait pas en lui un cauchemar de terreur meurtrière. Tout son cœur se tournait contre l’ennemi du dehors et les grandes mesures