Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/298

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tion croissante des groupements révolutionnaires et obligées de compter avec eux. Quand Marat a dénoncé les pétitionnaires de la section Poissonnière et quand Isnard, le prenant au mot, demande qu’ils soient livrés au tribunal révolutionnaire, il se retourne furieusement et dénonce les rolandistes.

Danton n’aurait pas consenti à exterminer de la Révolution les forces téméraires et ardentes, et comment eût-il pu laisser frapper les Cordeliers, où il avait grandi, et qui venaient de donner leur adhésion à l’adresse insurrectionnelle de Varlet ? Bientôt, aux Jacobins, Robespierre, soucieux d’étendre sa popularité jusqu’aux limites extrêmes du mouvement révolutionnaire, tentera de renouer avec les groupes les plus ardents ; il s’emportera contre ceux qui refusent la parole aux Enragés, et à la mort de Luzowsky, un de ceux qui prirent part à la tentative insurrectionnelle des 9 et 10 mars, il le glorifiera.

Ainsi, on n’aurait pu frapper « le comité insurrectionnel », sans atteindre en même temps toutes les forces de révolution auxquelles il était comme entremêlé, et Louvet et Salle avaient raison en quelque manière lorsqu’ils disaient à Garat : « Le comité insurrectionnel, c’est le club des Jacobins ». Mais combattre les Jacobins et avec eux la Montagne et la Commune, les envelopper dans la responsabilité directe d’un complot qu’ils avaient désavoué et refoulé, c’eût été une politique monstrueuse, la perte de la Révolution et de la France ; c’eût été la trahison de Dumouriez commencée du dedans, et en quelque sorte, par l’autre bout. Et c’est encore là un indice du déséquilibre d’esprit de la Gironde. Vergniaud n’allait pas jusque-là, et il se contentait de se répandre en tristesses éloquentes. Or il ne fallait ni gémir ni accuser. Il fallait se recueillir en un suprême effort de pensée et de conscience, et se demander pourquoi, peu à peu, la Gironde avait perdu la direction de la Révolution, pourquoi elle avait animé et coalisé contre elle tant d’énergies et comment elle pourrait refaire l’unité de la Révolution. Elle n’y songea pas, et l’égoïste frivolité alla croissant en elle à mesure que de toute part s’élargissaient les abîmes.

Brusquement, en effet, les périls de la Révolution s’aggravent, au dedans et au dehors. En Vendée, le fanatisme religieux, qui couvait depuis deux ans, éclate. Dans ces pays de petites métairies et de petites fermes, où les villes étaient rares, où les bourgs même étaient clairsemés, le prêtre était à cette époque le seul lien social. Sans doute, les paysans s’étaient réjouis de la suppression des dîmes, et ils avaient pris, aux enchères publiques, leur part des biens d’Église, des couvents et abbayes. Mais il leur déplaisait que le prêtre qui vivait avec eux depuis des années et qui leur parlait à la fois de très près et de très haut, puisque dans la familiarité de la vie commune il leur parlait au nom de Dieu, fût remplacé brusquement pour avoir refusé le serment à la Constitution civile, par un inconnu, qui n’avait peut-être pas reçu la véritable investiture divine.