Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/307

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« Un jour, on lui amena un paysan vendéen. Ce vieillard était aveugle, et il venait prier le praticien de lui rendre la vue. Quand il fut en présence de M. Guépin, il fut pris d’une sorte de délire :

« Ah ! vous ne voudrez pas me guérir… Vous connaissez ce que j’ai fait. Mais si vous saviez comme le sang saoule… Quand on tue, on veut tuer toujours… Nous leur arrachions le cœur ! »

Ce n’était pas seulement cette ivresse de sang qui s’empare des foules. À Paris aussi, aux massacres de septembre, le peuple avait été saisi de ce vertige affreux. Mais dans les grandes cités où les individus ne se connaissent pas les uns les autres, ces grandes et terribles ivresses des foules ne sont pas aggravées et exagérées par des ressentiments individuels.

Au contraire, le paysan de Vendée savait qui il tuait : c’était le bourgeois révolutionnaire qu’il avait souvent rencontré aux champs de foire : c’était le « monsieur », qu’il avait appris à haïr. C’était le patriote qui allait à la messe de l’assermenté, à la messe du diable. Et comme l’impie sortait de l’église profanée par lui, le paysan l’avait traversé plus d’une fois d’un regard de haine. Qu’on l’abatte maintenant, qu’on le déchire, qu’on le mutile. Mais souvent ces atrocités auraient pu être évitées sans la complaisance des chefs et sans les excitations des prêtres. Les chefs voulaient ou écraser dans le sang ou aplatir dans la terreur tous les groupements de patriotes. Ces petites villes de bourgeois audacieux et animés de l’esprit nouveau, c’étaient comme des épines de révolution et d’impiété enfoncées dans l’Ouest. Il fallait s’en débarrasser à tout prix pour que l’Ouest tout entier fût au roi. Et les prêtres réfractaires, exaspérés par la souffrance et le danger, s’assouvissaient en croyant ne venger que Dieu. Ils liaient les paysans par le crime irréparable. Ils donnaient au meurtre je ne sais quoi de sacré : ils nouaient entre Dieu et l’homme un horrible pacte sanglant.

Écoutez l’aveu qu’un prêtre réfractaire, François Chevalier, fait de ces abominables violences ; écoutez surtout comment il les justifie :

« C’est à Machecoul que commencèrent et se perpétuèrent ces horreurs, un carnage que l’on aurait peine à imaginer. Dans le premier jour, c’est-à-dire le lundi 11 mars, on ne se fut pas plus tôt saisi des patriotes qu’on les conduisit en prison, l’un après l’autre ; mais, chemin faisant, plusieurs furent assommés à coups de bâton, d’autres furent fusillés. Il est vrai que la gendarmerie et la garde nationale avaient eu l’imprudence de faire feu les premières, et quoiqu’elles n’eussent tué ni blessé personne, au moins grièvement, cette décharge fut le signal de la guerre. On leur riposta sur-le-champ avec un peu plus d’effet, et de là suivirent des massacres, des vols, des pillages et des violences sans nombre.

« La même chose à peu près se passa en même temps dans les autres petites villes de district, tant de la Loire-Inférieure que de la Vendée, comme Legé, Rochecervière, Montaigu et autres semblables. Mais il n’y en eut point