Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/320

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côtes maritimes. Habile à tirer parti de la crise où nous sommes, il envenime nos divisions intestines ; il alimente cette guerre de libelles, que l’intrigue et le crime fait au patriotisme et à la vertu ; en un mot, il se dispose à recueillir les fruits de ces germes de dissolution que nos anarchistes ont semés. C’est pour Pitt qu’on a avili la représentation nationale, et qu’on a dirigé contre elle la plus cruelle défiance. C’est pour Pitt qu’on a brisé tous les ressorts des lois ; c’est pour Pitt qu’on a laissé Paris sans force publique et qu’on le livre en proie à une poignée de scélérats couverts de boue et de sang ; c’est pour Pitt qu’on a rompu le frein sacré de la morale publique, et qu’on a, pour ainsi dire, popularisé le crime ; c’est pour Pitt qu’on a attenté à la Liberté de la presse, ce palladium de toutes les autres libertés. Aussi marchons-nous avec une effrayante rapidité vers la désorganisation universelle, vers ce renouvellement de la société, but avoué de nos anarchistes, et nous y touchons si une ligue fraternelle, si une contre-conjuration de tous les patriotes ne se hâtent de sauver la République et le genre humain. »

Est-ce que vraiment les Girondins croyaient alors que ceux qu’ils appelaient les anarchistes, c’est-à-dire les plus influents des Montagnards, étaient les agents de l’étranger ? Oui, plusieurs parmi eux avaient fini par le croire. Il leur semblait si monstrueux de n’être plus les chefs de la Révolution qu’ils ne pouvaient expliquer que par l’intrigue et l’or de l’Angleterre et de la Prusse ce renversement de toute raison. Louvet, Salle étaient comme hallucinés. Ce que dit Salle à Garat, en mars 1793, est du délire :

« Je vais tout vous dire, car j’ai tout deviné ; j’ai deviné toutes les trames. Tous les complots, tous les crimes de la Montagne ont commencé avec la Révolution ; c’est d’Orléans qui est le chef de cette bande de brigands, et c’est l’auteur du roman infernal des Liaisons dangereuses, qui a dressé le plan de tous les forfaits qu’ils commettent depuis cinq ans. Le traître La Fayette était leur complice, et c’est lui qui, en faisant semblant de déjouer le complot dans son origine, envoya d’Orléans en Angleterre pour tout arranger avec Pitt, le prince de Galles et le cabinet de Saint-James, Mirabeau était aussi là-dedans ; il recevait de l’argent du roi pour cacher ses liaisons avec d’Orléans, mais il en recevait plus encore de d’Orléans pour le servir. La grande affaire pour le parti d’Orléans, c’était de faire entrer les Jacobins dans ses desseins. Ils n’ont pas osé l’entreprendre directement : c’est d’abord aux Cordeliers qu’ils se sont adressés : dans les Cordeliers, à l’instant, tout leur a été vendu et dévoué. Observez bien que les Cordeliers ont toujours été moins nombreux que les Jacobins, ont toujours fait moins de bruit ; c’est qu’ils veulent bien que tout le monde soit leur instrument, mais qu’ils ne veulent pas que tout le monde soit dans leur secret. Les Cordeliers ont toujours été la pépinière des conspirateurs : c’est là que le plus dangereux de tous, Danton, les forme et les élève au meurtre et au massacre ; c’est là qu’ils s’exercent au rôle qu’ils doivent jouer ensuite dans les Jacobins, et les Jacobins qui ont l’air de mener