Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais si la Gironde embarrassait sans cesse la marche du procès, elle ne l’arrêtait pas. Elle ne faisait que se compromettre elle-même dans une politique sans franchise. Elle n’avait d’autre but que de communiquer aux événements sa propre incertitude, afin de diminuer, par la confusion des choses et des esprits, le triomphe de la Montagne qu’elle pressentait.

C’est le 20 décembre, que pour la seconde et dernière fois Louis comparut devant la Convention. Il était accompagné de ses conseils Malesherbes et Tronchet, et du jeune avocat Desèze. Celui-ci lut, pendant deux heures, son plaidoyer. Il le lut sans doute avec une assez grande force d’accent et une assez grande véhémence de geste, car quand il finit il était tout en sueur et dut demander une chemise. « Donnez-la lui, dit Louis XVI avec une familiarité touchante et un peu vulgaire, car il a bien travaillé. »

Est-il sûr que Desèze ait en effet bien travaillé, et qu’il ait adopté le meilleur système de défense ? Il produisit une assez forte impression. Marat dit : « Desèze a porté la parole ou plutôt il a lu un long mémoire fait avec beaucoup d’art » et il parle des « moyens de défense du tyran » qui lui paraissent « aussi faux que captieux ». Le Patriote Français analyse le discours de Desèze avec une sorte de complaisance, et les Révolutions de Paris le réfutent longuement et violemment. Deux choses, je crois, dans le plaidoyer agirent sur la Convention et la troublèrent. C’est d’abord lorsque Desèze, avec une certaine adresse et une certaine force, insista sur le caractère extraordinaire du procès.

« Je parle de condamnation, mais prenez donc garde que si vous ôtiez à Louis l’inviolabilité de roi, vous lui devriez au moins les droits de citoyen, car vous ne pouvez pas faire que Louis cesse d’être roi quand vous déclarez vouloir le juger, et qu’il le redevienne au moment de ce jugement que vous voulez rendre.

« Or, si vous voulez juger Louis comme citoyen, je vous demanderai où sont les formes conservatrices que tout citoyen a le droit imprescriptible de réclamer ?

« Je vous demanderai où est cette séparation des pouvoirs sans laquelle il ne peut pas exister de Constitution et de liberté ?

« Je vous demanderai où sont ces jurés d’accusation et de jugement, espèces d’otages donnés par la loi aux citoyens pour la garantie de leur innocence ?

« Je vous demanderai où est cette faculté si nécessaire de récusation, qu’elle a placée elle-même au devant des haines ou des passions pour les écarter ?

« Je vous demanderai où est cette proportion de suffrages qu’elle a si sagement établie pour éloigner la condamnation ou pour l’adoucir ?

« Je vous demanderai où est ce scrutin silencieux qui provoque le juge