Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/359

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Mais ce qui est à noter, c’est que son attitude a suggéré ou permis cette hypothèse. Levasseur, caractérisant l’action de Danton depuis le 1er avril, constate cette pensée persistante d’union jusque dans les plus terribles éclats de colère :

« Cependant, malgré sa généreuse colère, Danton fit encore plusieurs tentatives de retour vers la paix, mais son langage était entièrement changé, et il lançait à chaque occasion importante, contre le côté droit, les traits véhéments qu’il avait jusque-là réservés aux ennemis publics. »

Et parlant du discours de Philippeaux, il ajoute (en commettant d’ailleurs quelques erreurs de fait) :

« Les applaudissements qui accueillirent ce discours, l’empressement avec lequel le décret de Philippeaux fut adopté prouvèrent qu’il y avait encore dans le sein de la Convention une majorité bien intentionnée. En effet, le Marais commençait à se lasser de la domination des beaux diseurs de la droite, et à s’apercevoir que ce parti était aussi stérile en ses moyens de gouvernement, aussi incapable en pratique que fécond en belles phrases et en inutiles théories. Aussi, quoiqu’une improbation formelle frappât les pétitionnaires, les Girondins regardèrent avec raison cette décision spontanée comme une défaite. Le bruit courut alors que la démarche de Philippeaux lui avait été suggérée par Danton, trop au-dessus des animosités personnelles pour ne pas protéger encore ses ennemis, mais qui ne voulait pas prendre la parole en leur faveur après la violente sortie à laquelle ils l’avaient poussé presque malgré lui ; quoi qu’il en soit, le décret de Philippeaux peut encore être regardé comme une trêve, mais ce fut la dernière. »

Ici Levasseur, dont les souvenirs sont si nets et si exacts d’habitude, se trompe. Le décret de Philippeaux ne fut point adopté. Grangeneuve lui cria : « Prêchez d’exemple aux Jacobins ». Gensonné ajouta : « Le projet du préopinant me paraît encore plus calomnieux que la pétition, et c’est pourquoi je m’oppose à l’impression ». Et la Convention, comme je l’ai dit, passa à l’ordre du jour. Je l’avoue, au point où en était la bataille et après le coup de foudre du 1er avril, les hésitations et les ménagements de Danton me paraissent une faute. Il trouvait sans doute dangereux et cruel de mutiler la Convention, de réduire, au moins en apparence, la base sur laquelle portait la Révolution. Il sentait bien qu’après l’élimination de la Gironde il ne pourrait plus pratiquer cette large politique où il excellait, et qu’il serait enfermé avec Robespierre dans le cercle un peu étroit du jacobinisme sectaire. Surtout, il lui en coûtait de ne sauver la Révolution que par le sacrifice d’une partie de la Révolution. Mais il était funeste de prolonger cette lutte qui ressemblait à une agonie. Et il était urgent d’en finir. Aussi bien la Gironde elle-même ne répondait plus que par des railleries ou des cris de colère et de mépris aux suprêmes tentatives de réconciliation équivoque. Elle aussi voulait le combat décisif et à fond.