Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/365

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nonce la lettre de Pétion ? Le journal de Prudhomme n’a pas l’air de se douter que, sur le navire secoué par la tempête, l’équipage se bat autour du gouvernail.

Il n’a pas l’air de se douter que les riches, qui jusque-là, en effet, fréquentaient surtout les salles de théâtre et qui continuent à les fréquenter, commencent à aller aussi dans les sections pour y saisir la Révolution, pour l’arracher à la main brutale et puissante du peuple. Il est vrai qu’il résout la difficulté en demandant une sorte d’élimination doucereuse qui porterait sur le prêtre girondin Fauchet comme sur le prêtre montagnard Chasles, et sur Marat comme sur Clavière. Inepte équilibre, fausse et meurtrière impartialité à une heure où la Révolution avait besoin de se concentrer pour ne pas périr et de faire décidément un choix entre les forces ennemies qui se disputaient la conduite des événements. Cette impartialité prétendue de Prudhomme n’est que de l’incertitude. Il ne sait pas encore pour quel parti se prononcera le sort des combats.

Il se décide enfin quand la force girondine et bourgeoise lui paraît en progrès. Et voyez avec quelle longue et filandreuse hypocrisie il attaque les Montagnards, sous prétexte de défendre Paris contre d’injustes reproches de la Gironde. Quel plaidoyer fielleux et fourbe, qui se tourne en réquisitoire, et quelle manœuvre perfide pour couvrir le mouvement de contre-révolution propriétaire !

« Depuis longtemps, écrit-il dans le numéro du 11 au 18 mai, il existe dans le sein même de la Convention et ailleurs un système de diffamation contre Paris. On voudrait à tout prix isoler cette ville, la réduire à ses propres forces, à ses seules ressources, ou la mettre en butte à la jalousie et au ressentiment des autres sections de la république. À propos d’une adresse prononcée à la barre au nom de 120 000 citoyens de Bordeaux, n’a-t-on pas entendu Guadet dire en propres mots à la tribune : « Les Bordelais ont fait marcher 4 000 hommes dans la Vendée qui n’ont pas eu besoin de remplir leurs poches d’assignats pour aller délivrer leurs frères ». Le député auteur de ces paroles incendiaires et malveillantes avait en vue le recrutement de Paris, qui s’effectue, il est vrai, avec quelque lenteur et à prix d’argent, mais il faut être d’une mauvaise foi insigne pour hasarder indirectement ce reproche amer contre une cité qui n’a conservé sa supériorité d’opinion que par la grandeur et la multiplicité de ses sacrifices. Oui, Paris, cette fois, n’a point manifesté aveuglément cette ardeur civique qui jusqu’à ce jour n’avait mis à découvert que le citoyen pauvre, et avait laissé le riche végéter paisiblement, assis sur son or. Oui, le règne de l’égalité commence véritablement, et le salut public est devenu enfin la cause commune, grâce aux sans-culottes éclairés qui n’ont pas voulu se lever seuls et ont exigé que tous ceux qui profitent du bénéfice de la liberté en supportent aussi les charges. N’est-il pas juste et équitable d’exiger de ceux qui prétendent à la protection de la so-