Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/383

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nements avaient laissé partout des traces toutes chaudes. Et les aristocrates n’avaient point encore renoncé à la tactique du désespoir, à la pensée de tout sauver en portant tout aux extrêmes.

Dutard note, le 1er mai :

« Le difficile, suivant moi, pour obtenir un retour d’opinions, n’est pas du côté du peuple ; c’est toujours l’aristocratie qui fomente les dissensions, qui excite des désordres. L’aristocratie me dira peut-être : « Mais nous ne faisons rien, nous ne nous mêlons de rien, nous restons chez nous. » Tant pis ! le peuple se sent insulté de cette retraite ; le peuple veut confraterniser avec vous, pourquoi ne vous rapprochez-vous pas de nous au lieu de vous en éloigner ? Le peuple, en général, est sain ; il respecte les mœurs, il voit avec plaisir l’homme éduqué, pour peu qu’il ait l’accès facile. »

Ainsi, là où elle n’intriguait pas dans le sens des partis extrêmes, l’aristocratie restait boudeuse et inactive. À vrai dire, le policier en parle à son aise. Les nobles, les royalistes notoires, ne pouvaient guère se montrer dans les sections. Tout au plus, pouvaient-ils se mêler, dans les rassemblements, aux « culottes dorées », aux beaux fils de la bourgeoisie modérée.

Dutard insiste dans son rapport du 3 mai :

« Le peuple est tout entier à son objet, celui de terrasser l’administration actuelle (le pouvoir girondin). La respectable aristocratie se joint au peuple, lui applique par des développements curieux ce que le peuple ne voit presque qu’en effigie. Je l’avouerai sincèrement, je suis tellement courroucé contre l’aristocratie, par son inconduite dont je suis le témoin chaque jour, que s’il n’y avait pour chefs que Guadet, Marat et moi, je me déciderais peut-être à dire à Guadet : Mon ami, faisons tomber toutes ces têtes-là ; elles vous veulent du mal, elles veulent vous perdre, ces têtes nous sont à charge, et plus dangereuses pour nous que celles des sans-culottes les plus enragés.

« Je me livre à une prédiction qui a pour base une observation bien suivie de quatre années. Je suppose que l’on rétablît un roi, que l’aristocratie fût replacée dans ses châteaux avec toutes ses prérogatives, j’admets les Parlements, le clergé, etc. ; eh bien ! dans ce cas, l’aristocratie même ne pardonnerait à aucun de ceux qui auraient figuré dans la Révolution ; elle trouverait les plus grands torts, la plus grande inconduite même dans ceux qui l’auraient servie. Il n’y a pas d’infamies possibles que les aristocrates ne débitent contre la partie de la Convention qui paraît pouvoir les épargner ; ils n’osent pas parler contre la Montagne ; mais ils se revanchent bien sur les Girondins. »

C’était une grande faiblesse pour les modérés d’être comme adossés à ces frénétiques d’ancien régime qui espéraient et qui voulaient le rétablissement complet de leurs privilèges. Même constatation mélancolique de Dutard et même pressentiment lugubre dans le rapport du 10 mai :

« Il est remarquable encore que les Enragés habitués de la section ne