Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/42

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pour faciliter le passage de la monarchie à la République. On gardait un semblant de royauté pour rassurer les esprits simples, et c’est sous l’abri de la monarchie qu’on travaillait à la destruction de la monarchie.

« Et s’il n’y a pas eu là calcul, si la France a cru sincèrement à la nécessité de la monarchie dans l’ordre nouveau, comment peut-on faire un grief au roi d’y avoir cru, lui aussi, et d’avoir voulu maintenir les étais sans lesquels, à mon sens, elle ne pouvait durer ? J’ai gémi de la lutte engagée par vous contre le clergé, et il est vrai que j’ai usé du droit de veto que me donnait la Constitution pour amortir les coups que vous lui portiez. C’est que la religion, en même temps qu’elle est la consolation et le besoin de mon cœur, est, selon moi, la garantie de l’ordre et la règle nécessaire des mœurs et de la liberté. Or, j’ai pensé que des attaques trop véhémentes et trop violentes contre le clergé ébranleraient la religion elle-même. Me suis-je trompé ? Dans les premiers temps de la Révolution, il y avait chez les révolutionnaires eux-mêmes une sorte d’empressement pieux, et jamais on ne parla plus dévotement du Dieu de l’Évangile qu’à l’heure où on en dépouillait les ministres. Aujourd’hui encore, vous vous appliquez à ne pas découvrir au peuple la philosophie impie d’un grand nombre d’entre vous. Quand un imprudent, pour des raisons d’économie (car vous avez à votre tour des embarras financiers : ils vous perdront comme ils m’ont perdu), propose la suppression du traitement des prêtres, vous vous soulevez contre lui parce qu’il indispose les peuples. Mais qui aurait osé prévoir, il y a deux ans, que cette proposition serait faite ? Qui aurait osé prévoir qu’un jour, à votre tribune, un audacieux dirait : « Je suis athée », et serait applaudi par un grand nombre d’entre vous ? C’est donc bien la lutte contre le christianisme qui s’annonce, et si je l’ai pressentie, si j’ai voulu protéger le clergé contre des passions qui s’étendraient insensiblement à la religion elle-même, j’ai été prévoyant, et j’ai servi la Révolution qui périra le jour où il apparaîtra à tous qu’elle est incompatible avec le christianisme.

« Pour m’accuser de trahison, vous êtes obligés d’accuser aussi de trahison la plupart des hommes illustres qui ont servi la Révolution. Car tous, Lafayette, Mirabeau, Barnave, d’autres encore, ont cru que la Révolution devait s’arrêter et se fixer, qu’elle se perdait à dépasser la ligne qu’ils avaient marquée eux-mêmes. Vous pouvez les flétrir et les frapper. Mais vous flétrissez et vous frappez la Révolution elle-même, car le déshonneur de ceux qui l’ont servie se communique à elle. Croyez-vous, de bonne foi, que ces hommes ont cédé à des pensées basses, qu’ils furent à la merci d’une pièce d’or ? Non certes, ils crurent servir encore la Révolution et la liberté en s’opposant aux excès qui pouvaient les compromettre, en cherchant à organiser ou à raffermir la force nécessaire du pouvoir exécutif. Et si des hommes nés de la Révolution et qui n’avaient de force, de crédit, d’espérance que par elle, ont cru qu’il fallait la contrôler et la limiter, qui pourra faire un crime au roi lui-même,