Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/434

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qu’elle oscille. Mais on dirait que les grandes cités provinciales, les grandes villes marchandes inclinent à un girondisme feuillant. À Lyon, comme nous l’avons vu, le mouvement sectionnaire menace la municipalité jacobine.

Dans leur adresse du 8 mai à la Convention « les républicains bordelais » ne se bornent pas à défendre leurs représentants. Ils dénoncent si violemment le despotisme exercé sur la Convention par les hommes de la Montagne et de la Commune, qu’il est visible qu’ils sont tout près à entrer en lutte, s’il le faut, contre une Convention tombée en esclavage.

« Oui, nous le pensons avec la majorité de la Convention, depuis longtemps on forme autour d’elle des projets de désorganisation et d’anarchie. On veut l’anarchie, pour usurper les places et voler de l’argent ; on veut l’anarchie, pour essayer si, avec l’audace de l’orgueil et du crime, on ne pourrait pas s’emparer, ne fût-ce que quelques jours, d’un pouvoir régulier…

« … Oui, nous le pensons avec la majorité de l’assemblée nationale, dès qu’elle ne peut pas punir une seule autorité constituée qui la brave, dès qu’elle ne peut livrer au glaive des lois ceux qui prêchent le meurtre et se nourrissent de sang, dès qu’elle ne peut chasser des tribunes ceux qui la dominent et l’outragent, la Convention nationale a vu sa force défaillir, l’autorité souveraine lui échappe, le gouvernement se dissout… et l’anarchie commence.

« Il est dans la Convention des hommes de génie et de courage qui présagèrent dès longtemps les maux que nous venons de décrire ; ils ont vu l’orage se former, croître, s’étendre, obscurcir tout l’atmosphère ; ils ont voulu le conjurer ; mais aussitôt ces êtres perfides qui ne se montrent que dans les ténèbres et ne vivent que de ravage et de mort, ont quitté tous à la fois leurs repaires, ils sont descendus du Caucase sanglant, ils sont sortis des bourbiers d’Augias, et se sont élevés comme des furies contre les vrais appuis de la République et de la liberté, ils ont hurlé contre l’ordre comme le loup et l’hyène hurlent contre le rayon de la lumière… Oui, nous sommes tous girondins, nous le serons jusqu’au tombeau. »

C’est le défi, c’est déjà le langage déclamatoire et sanglant de la guerre civile. Mais ce qui atténuait l’effet de ces déclarations véhémentes, ce qui rassurait la Montagne, c’est que l’adresse des Bordelais n’était pas spontanée. Il avait fallu, pour la provoquer, des lettres émouvantes de Vergniaud, de pathétiques appels adressés par lui, le 4 et le 5 mai, à la Société des Amis de la liberté et l’égalité, séante aux Récollets, à Bordeaux. Il se plaignait, dans une première lettre, du silence des Jacobins de Bordeaux, à l’heure où les députés de la Gironde étaient menacés de mort. À l’inévitable angoisse du péril faudrait-il joindre l’amertume de l’abandon ? Dans la seconde, il disait à ses électeurs :

« Si on m’y force, je vous appelle de la tribune pour venir nous défendre, s’il en est temps, pour venger la liberté, en exterminer les tyrans… Hommes de la Gironde, levez-vous ! La Convention n’a été faible que parce qu’elle a