Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/496

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Je crois que la souveraineté du peuple est violée, lorsque ses mandataires donnent à leurs créatures les places qui appartiennent au peuple.

« J’exhorte chaque citoyen à conserver le sentiment de sa force ; je l’invite à compter sur sa force et sur celle de toute la nation ; j’invite le peuple à se mettre, dans la Convention nationale, en insurrection contre tous les députés corrompus. (Applaudi). Je déclare qu’ayant reçu du peuple le droit de défendre ses droits, je regarde comme mon oppresseur celui qui m’interrompt, ou qui me refuse la parole, et je déclare que, moi seul, je me mets en insurrection contre le président et contre tous les membres qui siègent dans la Convention. (Applaudi.) Lorsqu’on affectera un mépris coupable pour les sans-culottes, je déclare que je me mets en insurrection contre les députés corrompus. J’invite tous les députés montagnards à se rallier et à combattre l’aristocratie, et je dis qu’il n’y a pour eux qu’une alternative, ou de résister de toutes leurs forces, de tout leur pouvoir, aux efforts de l’intrigue, ou de donner leur démission.

« Il faut, en même temps, que le peuple français connaisse ses droits, car les députés fidèles ne peuvent rien sans le peuple.

« Si la trahison appelle les ennemis étrangers dans le sein de la France, si, lorsque nos canonniers tiennent dans leurs mains la poudre qui doit exterminer les tyrans et leurs satellites, nous voyons l’ennemi s’approcher de nos murs, alors je déclare que je punirai moi-même les traîtres, et je promets de regarder tout conspirateur comme mon ennemi et de le traiter comme tel. »

Toute la Société applaudit Robespierre, se lève et se déclare en insurrection contre les députés corrompus. Mais qu’est-ce à dire ? et ne semble-t-il pas qu’il s’agisse seulement de ce qu’on appellerait aujourd’hui une insurrection « parlementaire » ? On dirait que Robespierre s’émeut surtout des allures dictatoriales du président girondin Isnard qui refusait la parole à la Montagne. On dirait qu’il invite surtout la Montagne à s’insurger contre l’application injuste et violente du règlement de la Convention ; et il espère que si les Montagnards, soutenus par les tribunes, peut-être par les députations incessantes du peuple, brisent, à l’intérieur de la Convention, la tyrannie girondine, le grand ressort de la Gironde sera cassé. Il ne sera même plus besoin d’aller jusqu’au tribunal révolutionnaire et d’entamer la Convention. Ainsi Robespierre, en sa pensée subtile et profonde, ne rompait pas avec la tactique proposée par lui jusque-là ; mais, en prononçant le mot d’insurrection, en rappelant au peuple qu’il devait se reposer sur sa force et se lever contre l’extrême tyrannie, il faisait un pas dans le sens des événements.

Comment la Gironde aurait-elle pu faire face à l’orage qui grondait et qu’elle-même avait imprudemment provoqué ? Elle n’avait en main aucune force sérieuse. Elle n’avait pu grouper autour d’elle des forces départementales, et les commissaires Montagnards, partout disséminés en province, auraient réussi tout au moins à empêcher une mobilisation générale contre