Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/507

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hanté de soupçons injustes, il allègue lui-même contre la Montagne la plus monstrueuse hypothèse :

« Quand la calomnie a perdu contre moi toute pudeur, ajoute-t-il dans ses Mémoires d’un ton de victime, il ne m’est pas ordonné seulement de dire tout ce qui me justifie ; il doit m’être permis encore de dire ce qui m’honore. J’ajouterai donc qu’au moment où j’entrai dans la Convention, on vint me dire que le côté gauche allait faire feu sur le côté droit, et tomber sur lui le sabre à la main… Je ne le crus point du tout ; mais il était possible de ne pas le croire et de le craindre et, dans cette crainte, ce fut au côté droit que j’allai me placer, et non pas au côté gauche. Les membres du côté droit étaient loin de soupçonner alors qu’un homme qui partageait si peu leurs passions voulait pourtant partager leur sort. »

Quel analyste subtil et quel magnifique héros !

Danton, comme s’il avait été gagné par cette médiocrité d’âme, se perdit en propos gémissants et plats, sans habileté et sans dignité. Comme s’il ne pouvait soutenir le poids d’un récent libelle de Brissot qui reproduisait contre lui toutes les calomnies contre-révolutionnaires, il attesta humblement sa vertu et sollicita de Garat je ne sais quel certificat de modération :

« Je demande que le ministre me réponde ; je me flatte que de cette grande lutte sortira la vérité, comme des éclats de la foudre la sérénité de l’air. Il faut que la Nation sache quels sont ceux qui veulent la tranquillité. Je ne connaissais pas le ministre de l’Intérieur. Je le somme de déclarer — et cette déclaration m’importe dans les circonstances où nous nous trouvons, dans un moment où un député, c’est Brissot, a fait contre moi une sanglante diatribe, dans un moment où le produit d’une charge que j’avais est converti en une fortune immense… — j’interpelle le ministre de dire si je n’ai pas été plusieurs fois chez lui pour l’engager à calmer les troubles, à unir les départements, à faire cesser les préventions qu’on leur avait inspirées contre Paris… J’interpelle le ministre de dire si, depuis la révolution, je ne l’ai pas invité à apaiser toutes les haines, si je ne lui ai pas dit : Je ne veux pas que vous flattiez un parti plutôt que tel autre, mais que vous prêchiez l’union. »

Mais que signifie tout cela en pleine bataille ? On dirait que Danton s’excuse d’avance du coup qu’avec ses collègues de la Montagne il va frapper. Il n’a plus cette belle et pleine confiance en soi qui faisait sa force. Il commence à plaider les circonstances atténuantes : il est pris de doute sur son œuvre et sur l’avenir. Il est comme déconcerté par la crise terrible qui s’annonce et où il ne sera plus possible de couvrir sous la violence des paroles la modération des actes. Les actes aussi seront violents, et Danton s’étonne : on démêle en lui un embarras profond, et presque le commencement de ce dégoût qui le perdra.

Cependant la Montagne a compris que les paroles de Garat ont désagrégé la Gironde, dissous toute énergie de résistance, et elle est décidée, en