Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/509

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« Députés de la Montagne, vous avez écrasé de votre chute la tête du tyran ; nous vous conjurons de sauver la patrie.

« — Oui, oui, nous la sauverons.

« Si vous le pouvez et que vous ne le vouliez pas, vous êtes des lâches et des traîtres. Si vous le voulez et que vous ne le puissiez pas, déclarez-le, c’est l’objet de notre mission ; cent mille bras sont armés pour vous défendre. Nous demandons l’élargissement des patriotes incarcérés, la suppression de la Commission des Douze, et le procès de l’infâme Roland. »

Hérault de Séchelles répond : « Quand les droits de l’homme sont violés, il faut dire : la République ou la mort. »

C’était une fois de plus le consentement légal à l’insurrection du peuple ; du haut de la tribune présidentielle sonnait, contre une partie de la Convention, le tocsin insurrectionnel. Chaque délégation nouvelle amenait avec elle un flot de peuple ; les délégués et les citoyens qui leur faisaient cortège débordaient peu à peu des bancs réservés aux pétitionnaires jusque sur les bancs des députés : le peuple et la Convention se mêlaient, comme, selon la maxime du président Hérault, se pénétraient « la force de la raison et la force du peuple ».

Lorsque, vers minuit, le président mit aux voix la suppression de la Commission des Douze, fut-elle régulièrement votée par les députés seuls, comme l’assure Levasseur, qui dit que les pétitionnaires, au moment du vote, se retirèrent dans le couloir de gauche ? Fut-elle votée, au contraire, par un mélange insurrectionnel de députés montagnards et des délégués des sections ? Il n’importe guère ; dans la Convention, comme dans un navire disloqué, l’eau amère et sombre était entrée, et il fallait ou que le navire s’enfonçât sous la vague et la nuit, ou qu’il se sauvât en jetant la Gironde aux abîmes.

Les journaux girondins ne donnèrent pas des commentaires identiques. Chez les uns la tristesse domine ; chez les autres, le désespoir exaspéré. La Chronique de Paris, très modérée de ton avec Ducos et Rabaut Saint-Étienne, gémit plus qu’elle n’accuse, et même, à la façon bienveillante dont elle parle de Garat, il est aisé de voir que la conversation du ministre avec Rabaut Saint-Étienne avait fait impression sur celui-ci :

« On a fait, sur le rapport de Garat, une remarque digne d’être conservée ; c’est qu’il est encore le seul homme qui ait osé louer les deux partis qui divisent la Convention, en leur présence et sans éprouver de la part d’aucun de fortes marques d’improbation. Ce privilège est celui d’un homme de bien, dont les intentions doivent être respectées par ceux qui ne partagent pas ses opinions, et dont les erreurs mêmes seraient estimables parce qu’elles prendraient leur source dans le sentiment d’une bienveillance universelle qui, mûe par une heureuse imagination, embellit tout ce qui l’environne des couleurs de la vertu. »

Sur quelques-uns des Girondins, la vertu stupéfiante d’une philosophie