Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/562

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« — Quelques voix : Quel peuple ?

« Quel peuple, dites-vous ? Ce peuple est immense, ce peuple est la sentinelle avancée de la république. Tous les départements haïssent fortement la tyrannie.

« — Un grand nombre de membres : Oui, oui.

« Tous les départements exècrent ce lâche modérantisme qui ramène la tyrannie. Tous les départements, en un jour de gloire pour Paris, avoueront ce grand mouvement qui exterminera tous les ennemis de la liberté. Tous les départements applaudiront à votre sagesse quand vous aurez fait disparaître une commission impolitique. Je serai le premier à rendre une justice éclatante à ces hommes courageux qui ont fait retentir les airs. (Les tribunes applaudissent.)

« Je vous engage, vous, représentants du peuple, à vous montrer impassibles ; faites tourner au profit de la patrie cette énergie que de mauvais citoyens seuls pourraient présenter comme funeste, et si quelques hommes, vraiment dangereux, n’importe à quel parti ils appartiennent, veulent prolonger un mouvement devenu inutile quand vous aurez fait justice, Paris lui-même les fera rentrer dans le néant. »

Et il conclut en demandant que la suppression de la Commission des Douze soit mise aux voix par appel nominal. C’est un chef-d’œuvre de puissance et de sens politique. Ainsi interprété le canon d’alarme ne fournissait plus à la Gironde le prétexte de mander Henriot, d’engager un conflit avec la Commune révolutionnaire. C’était comme la force tranquille et légale du peuple qui empruntait une voix tonnante pour être entendue du législateur. Le Patriote français dit (et ces quelques mots, pour le dire en passant, confirment encore la remarque de M. Bonarel sur la collaboration de Danton avec Barère) :

« Danton, cet homme tant calomnié, qui avait fait un si touchant paragraphe sur l’union dans le rapport de Barère, Danton a parlé avec la fureur d’un homme qui tient la corde du tocsin. »

Non, ce n’était pas de la fureur : c’était la noble colère de l’homme qui a tout tenté pour prévenir la crise terrible, qui s’est heurté à l’égoïsme aveugle des factions, et qui s’y heurte encore quand il essaie de modérer des événements qu’il n’a pu empêcher de naître. Par quel triste malentendu un homme d’un caractère généreux et fier comme le jeune Girey-Dupré, rédacteur du Patriote, méconnaissait-il à ce point le grand révolutionnaire ? Girey-Dupré, rendant compte de la séance, écrivait avec une dignité calme et un tranquille courage :

« Gloire immortelle soit aux représentants du peuple qui n’ont pas désespéré de la république et qui, prêts à mourir, se sont rendus à leur poste, au son funèbre du tocsin, au lugubre bruit du tambour d’alarme ! Je veux imiter leur courage : je veux en tout partager leur sort ; puissé-je aussi par-